Il y a des cinéastes comme ça. Des éblouissements. Kleber Mendonça Filho en fait partie. Son second long-métrage confirme sa maestria après Les Bruits de Recife. Fortement remarqué à Cannes, son portrait de femme, résistante au monde, bouleverse. Et marque le retour d’une star, Sonia Braga.
Clara est une douce révolutionnaire. Une femme qui n’a peur de rien. Une épicurienne à la force tranquille. Elle a traversé des décennies et n’a rien perdu de son magnétisme. De sa beauté insolente. Malgré le cancer, la perte d’êtres aimés, le temps qui passe. Alors, quand le promoteur qui a récupéré tous les appartements de son immeuble déserté veut lui racheter son bercail pour y faire pousser un building de standing, elle refuse. Elle tient bon. Face à la machine immobilière, à la manipulation, à l’intimidation, à l’invasion. Avec la mémoire vive de sa propre vie. De son amour pour la musique, son pays, les siens.
Si ses œuvres précédentes étaient à personnages multiples et à entrées variables, de ses courts salués Eletrodoméstica et Recife Frio à son premier long Les Bruits de Recife, la construction de son nouveau récit se fait sur un caractère. Une femme. Dépositaire de la mémoire du Brésil, incarnée par une icône. Sonia Braga, étoile des années 1970, visage des amoureuses libertaires de Jorge Amado (Gabriela, Dona Flor & ses deux maris, Tieta do Agreste), installée aux États-Unis, redevient LA femme brésilienne, ici nordestine, à Recife, ville personnage récurrent de Mendonça Filho. À 65 ans, son charisme est intact et le film la transcende, avec ses chapitres déclinés autour de son corps.
Portant le nom même de l’édifice résistant en bord d’océan, Aquarius célèbre l’individu face au rouleau compresseur de la course marchande. Il devient l’instantané d’une nation minée par l’urbanisation agressive des mégapoles, par ses contradictions politiques, sociales, économiques, par son trop-plein de scandales et la destitution de sa première présidente. Éradiquer du vieux pour ériger du neuf, aseptisé, sécurisé. Avec sa mise en scène ample, puissante et élégante, au plus près du corps de son actrice, de ses yeux, de ses cheveux, du grain de sa peau, le cinéaste traite de l’organisme gangrené par l’autre, par la maladie, par les bestioles fatales, termites qui grignotent les murs au profit des rapaces. Mais la mémoire et l’affect plient sans rompre, et Clara reste le roseau le plus fort de la jungle.
Alliée de choix, la musique nourrit l’univers, comme autant de souvenirs de l’héroïne, ancienne critique musicale, nichés dans sa collection de vinyles, tubes et trésors brésiliens et anglophones, et oxygène bénéfique au climat anxiogène et à la menace. Une bande-son précise, qui use aussi des bruits ambiants, des froissements, et donne du relief à la sensualité profonde qui règne. La finesse et l’originalité de Mendonça Filho reposent sur le jaillissement de l’humain malgré tout. Sur sa force dans l’adversité. Sur l’universalité du combat. Aquarius est un acte de cinéma.