Lancé à la Semaine de la Critique à Cannes, Apnée est une surprise qui éclabousse. Une bulle d’air insolente. Un joyeux pavé clairvoyant dans la France actuelle, dynamité par le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse et un trio de comédiens épatants.
Ils sont trois. Céline, Thomas et Maxence. Une fille et deux garçons. Ils font tout ensemble. Comme leurs aînés de Pourquoi pas ! de Coline Serreau et Les Valseuses de Bertrand Blier. Comme les quatre gars du Plein de super d’Alain Cavalier. On retrouve en héritage l’esprit libertaire et l’explosion des diktats des années 1970. Aujourd’hui, c’est 2016. Dans un monde tiraillé entre avancées sociales et régressions frileuses, ce voyage insolite propose une heure et demie d’auscultation générale. Ils veulent se marier à trois, trouver un appart, un boulot, un prêt. Ils questionnent leurs semblables, du banquier à l’enfant. Ils veulent aussi retrouver des moments, des sensations. Une maison d’enfance. Un repas de famille. Et se faire plaisir, en traînant au bain, en mangeant des huîtres, en faisant du quad ou en se baignant à poil.
Le sens de la vie. La place dans la société. Le bien-être et l’épanouissement. Le constat n’est pas jojo. Compliqué dans des temps qui poussent à vivre souvent en apnée pour tenir bon. Jean-Christophe Meurisse et ses trois interprètes, Céline Fuhrer, Thomas Scimeca et Maxence Tual, radiographient le quotidien et révèlent en pleine lumière les contradictions d’une société pourtant basée sur trois grands principes républicains. Tous quatre issus de la troupe des Chiens de Navarre, que le premier a créée, ils ont l’habitude de travailler l’individu et le collectif, la nature et la culture, en les faisant éclater par l’humour et le surréalisme, avec bienveillance. Et par un travail riche sur l’improvisation à partir de situations de départ.
Après leur court-métrage collectif Il est des nôtres, ils persistent dans le cinéma comme moyen d’expression pour ce voyage de Paris à la Corse. Par une succession narrative de tableaux loufoques, dont le trio reste le pivot moteur, et le témoin parfois abasourdi. Par une utilisation judicieuse de musiques bigarrées, juxtaposée à des moments de liberté : le mouvement presto de L’Été des Quatre Saisons de Vivaldi, ou A War Is Coming de Jeanne Added. Chaque moment fonctionne pour lui-même et en action/réaction avec ce qui s’est passé avant et se passera après. L’art du montage et de la durée des plans joue de l’efficacité rythmique et comique, qui contrebalance le climat oppressant de la première partie, et du temps étiré de la vacance et de la fête dans la seconde partie.
Sacré périple, désopilant, foutraque, dès son entrée en matière directe et sans fard. La joyeuse bande a réussi son pari de mettre à nu l’essentiel sur grand écran. On se gondole devant les revendications et les interrogations des trois idéalistes, devant les acrobaties sur glace ou les bilans conjugaux, devant des géants poilus ou un Jésus rejoignant le fond de l’eau. Le brio du gag se mêle à la poésie libertaire. Avec un sens de l’exutoire collectif finalement rare. Car on rit toujours « avec », et on ressent avec vivacité l’humanité tapie partout, résistante, vigilante, et sans un pet de mépris ni de lourdeur.