Comment un film qui évoque les horreurs de la guerre peut-il me rendre heureux ?
Parce que Voyage au bout de l’enfer est avant tout un film sur l’amitié, l’amour, le temps qui passe et la nécessité de vivre.
Parce que sa composition en trois parties (l’avant/le Vietnam/le retour) lui donne les allures d’une grande fresque sur l’Amérique, quelque chose comme la renaissance d’une
nation.
Parce que ce deuxième long-métrage de Michael Cimino sublime les codes du film de potes, dans une Amérique traumatisée par la défaite. Entre la fausse insouciance des festivités du mariage dans la première partie et la réaffirmation des liens qui soude la communauté, lors des obsèques de la dernière séquence.
Parce que le contexte de la guerre du Vietnam si loin, si proche, donne un parfum d’éternité à des moments de grâce arrachés au quotidien. Comme lors de cette veillée d’armes, dans le bar, où la solennité de l’instant fige chacun dans l’écoute d’un Nocturne de Chopin, bientôt parasitée par le bruit des hélicoptères de l’armée.
Parce qu’un cerf en automne se dresse comme le symbole d’une innocence retrouvée au cours d’une emblématique
partie de chasse.
Parce qu’autour de Robert De Niro et des débutants Christopher Walken et Meryl Streep, le Nouvel Hollywood jette ses derniers feux dans une hallucinante partie de roulette russe, comme métaphore de l’enfer vietnamien.Parce que Voyage au bout de l’enfer a pour moi la saveur d’une madeleine. Et que chaque nouvelle vision me fait revivre le choc éprouvé l’après-midi du 7 mars 1979 (le jour de sa sortie française), quand, à quatorze ans, j’ai ressenti pour la première fois le besoin impérieux de partager mon enthousiasme pour un film découvert en salle.
Philippe Rouyer