Un jour sans fin sort sur nos écrans en 1993 dans le désintérêt général. En France, Harold Ramis n’est pas le réalisateur culte de Caddyshack. Tout au plus est-il connu comme Egon Spengler, l’un des chasseurs de fantômes du Ghostbusters d’Ivan Reitman. Et Bill Murray ne bénéficie pas encore de cette aura, de ce statut de Droopy préféré des cinéphiles, titre définitivement acquis avec le succès universel de Lost in Translation.
Mais Patrick Brion, monsieur Cinéma de minuit, accessoirement coprogrammateur émérite de La Dernière Séance et archiviste majeur du cinoche de la bannière étoilée, ne s’y trompe pas. Et il fait rapidement figurer ce Groundhog Day (titre original) tout au bout de son ouvrage somme sur la comédie américaine paru aux Éditions de La Martinière.
La comédie américaine, enfantée par Mack Sennett, ouvragée par Preston Sturges et Frank Capra, s’arrête là, à Punxsutawney, petite bourgade de Pennsylvanie.
Phil. Oui, Phiiiiiiiiiiil Connors, se lève chaque matin pour revoir la marmotte pointer le bout de son nez. Il revit ainsi ce même jour, dans ce qu’il considère être le pire endroit du monde, avec une personne, une seule, qui est à même de retenir toute son attention, de canaliser son intérêt, de le détourner de son légendaire cynisme.
À croire qu’il en faut peu pour être heureux, face à un écran de cinéma.
Un jour sans fin est une comédie habile, admirablement bien écrite, mais qui n’a pas vocation à changer la face du 7ème art. Ce n’est pas une œuvre stimulante, pas même un film qui vous bouscule. Et ce serait même exactement l’inverse.
L’œuvre d’Harold Ramis vient parler au lobe pantouflard de notre cinéphilie, celui qui nous fait revenir vers des films par confort, parce qu’ils offrent une image solide d’un modeste bonheur. Et quand vous serez au plus bas, vous savez que vous pourrez relancer le DVD, pour une nouvelle séance rythmée des mêmes rires, des mêmes émotions ; un shoot sans heurts, en somme.
Avec ses diners tout droit sortis d’une peinture de Norman Rockwell, ses batailles de boules de neige nocturnes, la chevelure tout en boucles d’Andy McDowell qui s’étale sur l’oreiller et cette folle rédemption d’un authentique et touchant petit salaud, Un jour sans fin synthétise avec candeur l’histoire de la comédie américaine.
Et cette comédie, ce genre majeur et noble s’il en est, demeure une question de foi. On ne doute jamais de la résolution idéale qui s’annonce. On ne remet plus en cause la légitimité du happy end. On range l’obscénité et l’on célèbre la vertu.
Dans les pas de Bill Murray, témoins de son calvaire, on en vient à épouser la philosophie quelque peu bouddhiste du film. Dans la répétition, avec patience et dévotion, on voudrait user de chaque jour pour apprendre à jouer Rachmaninov, pour accepter l’inéluctable, pour séduire dans l’humilité et corriger chacune de ses erreurs.
Et puis, un matin, regarder par sa fenêtre un paysage enneigé et réaliser qu’il n’y a rien de plus beau que d’être parvenu, un rien meilleur, au jour suivant.