Les souvenirs se diluent et se recomposent. Ils racontent des histoires. À la question : qui est le héros de votre enfance ? Je m’écrie : Peter Sellers ! C’est faux. Mais on connaît la trahison des images depuis Magritte : ceci n’est pas un mensonge. C’est la vérité de mon regard. Je veux que Peter Sellers soit mon héros d’aussi loin qu’il m’en souvienne. Je veux l’avoir connu dans La Panthère rose (1963) de Blake Edwards quand je n’étais même pas née. Je veux l’avoir vu dans The Party (1968) du même Blake Edwards, quand je ne savais même pas parler. Je veux qu’il soit l’Indien de ma vie. Il sera à mon bras à chaque soirée mousse dans les night-clubs. Il m’accompagnera au concert de Birdy Nam Nam, ce groupe français de DJ électro qui lui a emprunté les mots qu’il glissait à l’oiseau en cage du film de Blake Edwards.
Je n’ai pas grandi avec Peter Sellers, je ne sais pas dater notre rencontre, elle ne doit pas avoir d’âge, alors ma mémoire le donne présent depuis toujours. Elle le reconnaît, elle dit que oui, c’est bien lui le héros de mon histoire avec le cinéma. J’ai toujours aimé les cow-boys et les Indiens. Quand Peter Sellers apparaît, aux premiers plans de The Party, grimé en mauvais acteur indien d’Inde, surgi depuis un surplomb rocheux comme dans tous les bons vieux westerns, il est évident que c’est lui. Cette scène d’ouverture le fait immédiatement entrer dans mon monde d’images.
Son personnage d’acteur raté au nom imprononçable (Hrundi V. Bakshi) a l’âge du cinéma. Il a l’âge du slapstick originel, au temps du muet. Il glisse, il tombe, il chute. Il n’est jamais debout très longtemps, il est instable. Peter Sellers, acteur anglais, a été danseur. Son corps travaille. Son mouvement est à la fois drôle et conséquent. Il est l’éléphant dans le magasin de porcelaine du cinéma. Dans The Party, il joue avec la gravité et casse le beau miroir de Hollywood pour renvoyer, en reflets spéculaires, une vision critique. Bienvenue dans The Party, bienvenue au bal des hypocrites. Son excès d’inadaptation, sa maladresse, sa candeur, son innocence agissent en révélateurs. De catastrophe en catastrophe, il fait rire en creux de choses sérieuses et exploser le cadre de la fabrique du cinéma. Il joue le rôle du fauteur de trouble.
Depuis quelque temps, sa Morgan Threewheeler à trois roues a repris la route. La petite firme britannique, dans son usine du Worcestershire, a recommencé la fabrique de son cycle-car, châssis acier, structure bois, moteur Harley Davidson. The Party n’est pas finie. Peter Sellers va bientôt arriver à la fête, au volant de son bolide bleu.