Si le bonheur était un film, ce serait celui-là. À tout jamais.
La vie est belle, de Frank Capra, surgit en 1946, dans cette période d’après-guerre qui se laisse aller à l’euphorie du soulagement d’en avoir terminé et commence à entrevoir des jours meilleurs.
Le conte de fées de Frank Capra a pour décor la nuit de Noël, propice à tous les enchantements, dans une Americana de rêve. Avec tous les accessoires du merveilleux : neige, sapin, confort douillet d’une maison bourgeoise, famille unie, de l’amour plein les yeux. Sans oublier le salaud, rongé par l’aigreur, qui rôde et cherche à détruire l’harmonie de la communauté.
L’accumulation de grains de sable qui ont grippé le destin du brave George Bailey, l’enfant de chœur de Bedford Falls, se mue en catastrophe cette nuit-là, provoquée par un oncle éternellement distrait et ce rapace aux aguets.
L’intervention du Ciel et l’action d’un ange, ce Clarence au Q.I. limité, en quête de ses ailes, parachèvent l’atmosphère inoubliable de ce film, classique du mélodrame qui transcende le genre par sa perfection, son ambition et, plus que tout, son propos. Le suicide n’est jamais une réponse au désespoir. La leçon du salut est apportée par l’ange à l’allure bonhomme, tranquille comme Baptiste : « La vie de chacun influence tant d’autres vies. Et chaque absence laisse un vide terrible ».
Comment ce message n’aurait-il pas été reçu de plein fouet par une opinion qui sortait du désastre, comptait ses morts, dénombrait les absents ? Pourtant, sorti sur les écrans le 20 décembre 1946, malgré une distribution de prestige et la signature de Capra, cinéaste abonné au succès, ce film reçut un accueil mitigé de la presse, puis du public. Trop vite retiré de l’affiche, il ne rayonna que bien plus tard au firmament du 7ème art. Son éclat, depuis, ne s’est jamais terni. Et le temps, le figeant dans son aura d’antan, ne fait que l’embellir. On croit trop souvent que la beauté s’impose d’emblée, que les chefs-d’œuvre sont reconnus et adoptés dès leur apparition.
Comment les spectateurs de 1946 n’ont-ils pas été chavirés par la scène d’amour au téléphone qui unit soudain Donna Reed et James Stewart dans le feu d’une dramaturgie d’une extraordinaire puissance ? Comment ont-ils pu résister à la bouleversante empathie de George Bailey, enfant, devant la rudesse de son patron qui vient de perdre son fils ? Comment la trajectoire, sans cesse déviée, de George Bailey, homme de devoir et de morale, ne les a-t-elle pas touchés ? On sait, en revanche, qu’ils furent choqués par l’impunité de l’affreux Potter. Pourquoi n’ont-ils pas vibré, à la première vision, devant l’interprétation magnifique de James Stewart, Donna Reed, Lionel Barrymore, Thomas Mitchell, Harry Travers ? Pourquoi n’ont-ils pas été emportés par la vague de chaleur de cette allégorie du bonheur ?
Dans ses mémoires, Hollywood Story, Frank Capra estime que La vie est belle est son « meilleur film ». Il va même jusqu’à écrire : « Mieux encore, je trouvais que c’était le meilleur film que personne eût jamais fait ».
Il précise : « C’était un film qui disait à ceux qui avaient perdu le goût de vivre, à ceux qui avaient perdu courage, à ceux qui avaient perdu leurs illusions, au pochard, au drogué, à la prostituée, à ceux qui étaient derrière des barreaux de prison et à ceux qui étaient derrière des rideaux de fer qu’aucun homme n’est un raté ! » La postérité, heureusement, a remis ce film à sa juste place.
Les pétales de Zouzou, que George Bailey extrait de sa poche, la vie retrouvée, ne sont-elles pas les larmes de bonheur des spectateurs ?
Jean-Claude Raspiengeas