Le mercredi 8 décembre 1971, Joe Hill de Bo Widerberg sort à Paris, auréolé de son Prix du Jury obtenu en mai de la même année à Cannes. Je le découvre dès le premier jour… reste à la séance suivante, et y entraîne quelques amis le lendemain. Pendant plusieurs années, je n’aurai de cesse de le faire connaître, guettant chaque reprise.
Et puis, très vite, Joe Hill disparut des écrans. Le film est resté jusqu’à aujourd’hui absent des rares rétrospectives organisées autour de Bo Widerberg et oublié de la plupart des cinémathèques. Seule, à ma connaissance, la Cinémathèque de Nice dirigée par Odile Chapel (reconnaissance éternelle) en projeta une copie le 18 février 2005. J’y étais… Trente-quatre ans après, le choc de la (re)découverte était toujours aussi fort. Joe Hill reste pour moi un authentique chef-d’œuvre qui éclate d’intelligence, d’humanisme, de cohérence, de lucidité et qui dégage une immense vitalité militante et dénonciatrice.
Le film emprunte à la ballade sa naïveté et sa chaleur pour décrire les dernières années de Joseph Hillstrom (1879-1915), débarqué aux États-Unis de sa Suède natale en 1902 avec son frère Paul. Tous deux doivent faire face à la dure condition des immigrés, à une langue inconnue et à l’effroyable pauvreté qui règne dans les quartiers de l’East Side à New York. Paul part vers l’Ouest, Joseph y reste, amoureux d’une jeune Italienne. Mais l’aventure est de courte durée. Plus rien ne le retient dans cette grande ville cosmopolite. Joseph, devenu Joe Hill, fait la route à pied pour rejoindre son frère, partage en chemin la dure condition des hobos, ces sans-abri qui passent d’un État à un autre en empruntant clandestinement des trains de marchandises en essayant d’éviter les violentes milices des chemins de fer. Ce long chemin initiatique lui fera prendre conscience des injustices flagrantes du rêve américain. Poète révolutionnaire, chantre d’un populisme contestataire, membre actif du syndicat ouvrier américain Industrial Workers of the World (IWW), il sera éliminé par la société capitaliste et utilisé par ses amis, jusque dans la mort, comme flambeau de leur action politique.
Toutefois, il ne s’agit pas d’une analyse sur la naissance du syndicalisme américain, mais plutôt de l’évolution d’un regard. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle d’un Ken Loach, cinéaste engagé comme Widerberg dans la quête même violente d’un avenir meilleur pour des « damnés de la terre » qui ne veulent plus de cette « pluie de pierres » qui s’abat sans cesse sur leur triste vie. « Bread and Roses », les premiers mots qui s’inscrivent sur l’écran dans Joe Hill (et qui seront les derniers que le syndicaliste prononcera avant d’être exécuté), Loach les reprendra en 2000 comme titre de son film sur les travailleurs mexicains entrés illégalement aux États-Unis. La filiation entre les deux cinéastes n’est pas qu’une simple question de formules. Joe Hill est bien le grand frère de Maya, la jeune ouvrière immigrée clandestine qui, en adhérant au syndicat, décide de se battre pour, comme lui, obtenir une minuscule part du rêve américain.
Quarante-quatre ans après sa sortie, Joe Hill revient enfin sur les écrans le 18 novembre 2015 dans une magnifique version restaurée, grâce à Malavida Films qui, depuis deux ans, remet à l’honneur la passionnante filmographie de Bo Widerberg. Les plus chanceux ont déjà pu le revoir sur le cinéma de la plage pendant le Festival de Cannes au mois de mai dernier et le Festival Lumière de Lyon (12-18 octobre 2015) le proposera pour quatre séances en avant-première. Le chef-d’œuvre est réhabilité.
Par Gérard Camy