Harold et Maude
"Harold aime Maude et Maude aime Harold" (et personne n’aime les zombies)
Qui eût cru qu’un jour je privilégierais une comédie romantique à un film d’horreur ? Et pourtant ! In extremis, Harold et Maude (Hal Ashby, 1971) l’emporte devant Zombie (George A. Romero, 1978) !
Ce n’est pas une boutade, le choix était vraiment serré : Zombie a beau être stressant, il m’inocule toujours plaisir et réconfort, je m’y love avec délice. Mais le dresser en porte-étendard du film qui me rend profondément heureuse m’aurait à coup sûr fait passer pour une sacrée misanthrope…
Tandis qu’avec Harold et Maude, on me prendra, au pire, pour une brave hippie ! Enfin… Si ce petit chef-d’œuvre me procure tant de joie à chaque fois, c’est évidemment parce qu’il est plus en demi-teintes que cela. L’humour y est tantôt noir, tantôt solaire ; l’amour y croît en une semaine ; quant à la mort, elle s’y laisse patiemment chatouiller, attendant son heure avec bienveillance. Hop, leçon(s) de vie !
Harold (Bud Cort) est un tout jeune homme très riche, que sa mondaine de maman (Vivian Pickles) ne prend jamais en compte. Il a beau se « suicider » régulièrement avec panache, il n’en tire que des soupirs excédés. Pour se changer les idées, Harold assiste à des enterrements et c’est là qu’il rencontre Maude (Ruth Gordon), bientôt 80 ans, et encore suffisamment de dents pour croquer la vie avec appétit. Ces deux-là vont faire les quatre cents coups et s’aimer.
Hal Ashby n’a pas eu l’autorisation de tourner la scène du passage à l’acte, mais le réveil des amants dénudés dans un lit défait en dit assez. À bas les conventions, à terre les tabous, au diable la normalisation ! Et Harold, extatique, de souffler des bulles de savon, au lieu de tirer sur l’habituelle cigarette post coïtum…
Quand j’ai découvert ce film, enfant, j’étais surtout émerveillée par l’irrévérence de Maude, par l’inventivité macabre d’Harold et par l’excentricité des personnages secondaires ; l’aspect romantique restait très périphérique. Aujourd’hui, cette fable amoureuse, dont ni « les grosses et les laides » (n’en déplaise à la mère d’Harold), ni bien sûr les vieilles ne sont exclues, agit comme un modeste antidote contre l’image que nos sociétés renvoient massivement de « la » femme. Ça fait du bien. Mais ce n’est pas le meilleur…
Le meilleur, c’est le cinéma. Le meilleur, ce sont ces effets de montage, ces ellipses, ces glissements, ces juxtapositions qui, d’un champ de pâquerettes à une étendue de stèles blanches, parlent du libre arbitre. Le meilleur, c’est cette façon de dézinguer toutes les institutions – la police, l’armée, le clergé, la psychiatrie, la famille – en laissant une petite aire de compassion ou de sympathie pour chacun de leurs ridicules représentants. Le meilleur, c’est ce regard caméra très satisfait d’Harold qui se recroqueville après avoir croisé le regard furibond de la Gorgone. Et puis la morale de l’histoire : « Si vous prenez des coups, tant pis, mais jouez, vivez ! ».