Puissance du sourire

Chronique

C’est une scène de la vie quotidienne. Un instant fugace. Un non-événement, diraient certains. À moins que ce ne soit tout le contraire. Ce matin, dans une rue strasbourgeoise qui longe un parc et une synagogue, j’ai rencontré une jeune femme que je ne connaissais pas. Nos regards se sont croisés et nous nous sommes souri de façon parfaitement synchrone. Si je ne puis décrire mon propre sourire, je puis dire de celui qui me fut adressé qu’il était spontané, large, ouvert, lumineux. Cette jeune femme et moi nous nous sommes souri, alors que nous ne nous sommes jamais rencontrées auparavant. Cet échange de sourires n’a pas ralenti nos courses respectives : nous avons poursuivi notre route en sens contraire, sans mots échangés, sans poignée de main. Comme dans un dessin de Sempé : c’était un instant simple et gratuit. Et parce qu’il était simple et gratuit, il était délicieux.

Cette joviale inconnue et son expression aimable m’ont ainsi emplie de joie dans les heures qui ont suivi. Par les temps qui courent et la gronde qui agite notre pays, il va sans dire que ce petit événement est très appréciable.

Hier soir, je parcourais le dernier numéro du magazine féminin ELLE, dont la couverture est consacrée à Julia Roberts. On y apprend que le sourire de la star américaine a été assuré pour 30 millions de dollars. Il est vrai qu’il est des plus radieux et contagieux que le 7e Art ait jamais comptés. Mais la formule laisse songeur. Car il n’est pas indiqué que l’actrice a assuré ses dents, mais bel et bien son sourire. Or, un sourire a-t-il une valeur autonome ? Comment l’envisager en pièce détachée, alors qu’il est relié à une émotion, un état d’âme ? En outre, un sourire, un vrai, ne se contrôle pas et se donne à autrui, qui le reçoit et en interprète l’émotion associée (ou pas), mais il ne peut fonctionner en circuit fermé, n’est-ce pas ? Ou alors c’est un sourire forcé, mécanique, qui s’apparente davantage au rictus, non ?

Toujours est-il que, lorsque la jeune inconnue m’a offert son sourire, je l’ai pris comme un cadeau et j’ai gardé la trace de l’instant avec moi. La grâce ne s’assure pas, mais elle réjouit et fait croire en la vie.