Parce que la salle obscure reste le lieu idéal et sacré pour découvrir des œuvres cinématographiques, les BandapArtistes clament leur amour de ces indispensables espaces de vie sociale – à travers des récits d’anecdotes et de souvenirs -, en attendant leur prochaine réouverture.
Automne 1997. Installé à Paris depuis quelques semaines, je me jette goulûment sur les nombreux cinémas de la capitale, explosant les possibles, déjà passionnants dans les villes de province où j’ai vécu jusque-là. Pariscope est ma boussole hebdomadaire, et je jubile entre nouveautés et reprises. Rien ne va plus de Claude Chabrol a déboulé sur les écrans mi-octobre, et l’un des temples du 7e art du Quartier latin, Le Champo, organise un cycle dédié au cinéaste, à l’occasion de son cinquantième film. J’en profite pour y voir ou revoir, sur toile XL, ses classiques Les Bonnes Femmes, Les Biches et La Femme infidèle. Et puis Le Scandale. Drôle d’œuvre… pour une drôle de séance !
La salle de plain-pied est surchauffée. Pas mal de monde s’est donné rendez-vous pour découvrir cet opus plutôt rare. La projection démarre, l’image est floue, et elle le reste. Je sors signaler le problème. On me répond que la copie est comme ça. Quoi ? Une copie floue ?? On va se taper tout le film flouté ??? Je regagne ma place, énervé. Il fait de plus en plus chaud. Ambiance. Le récit n’est pas mal non plus. Le riche héritier d’une marque de champagne souffre d’un trauma crânien après une agression – il s’est réveillé à côté de sa passagère étranglée -, et tout le monde le croit dangereux psychotique. Il est en fait victime d’un improbable complot, mené par sa secrétaire et un mondain, marié à l’autre héritière, qui se fait zigouiller aussi. Dans les rôles respectifs : Maurice Ronet, Stéphane Audran, Anthony Perkins et Yvonne Furneaux. Sans oublier l’apparition de l’impayable tandem (Henri) Attal et (Dominique) Zardi en binôme d’agresseurs.
Je commence à me sentir dans un état second à force de concentration sur cette version pour miros, où les visages des tordus friqués sont troubles, dans une atmosphère kitsch et psychédélique. Sans oublier la double face de la délirante Audran, en employée cupide, qui elle-même se grime, et passe du brun au blond dans un travestissement hitchcockien pas piqué des vers. Là-dessus, un énergumène entre dans la salle, bardé d’un anorak et de sacs bruyants. Il s’avance lentement, dans la semi-obscurité, et s’avachit… sur une spectatrice, qui hurle ! Il se relève dare-dare de son siège humain, et se dirige vers le premier rang, où il s’installe toujours discrètement, au son des gloussements et grommellements. Pété de rire, je n’arrive plus à suivre le film. L’intrus ne restera pas jusqu’au bout, et ressortira, avec son barda, et sans avoir quitté sa parka. Quand je quitte le Champo, j’ai la sensation d’avoir halluciné. Vingt-trois ans plus tard, j’en ris encore.
Le Champo – Espace Jacques Tati / Paris 5e.
Le Scandale
Un film de Claude Chabrol.
Avec Maurice Ronet, Anthony Perkins, Yvonne Furneaux, Stéphane Audran.
Date de sortie : 31 mars 1967 (1 h 45).
Bande-annonce de la version anglophone The Champagne Murders.