La playlist idéale

Philippe Safir & Antoine Glatard

Le réalisateur Philippe Safir et son compositeur Antoine Glatard étaient de passage au Festival Music & Cinema de Marseille pour présenter le film La Fille sur l’étagère (prochainement en salles). Pour BANDE À PART, ils nous ont partagé leurs musiques de films favorites.

1. Alexandre Desplat, Ghostwriter (2010)

Antoine Glatard : On a eu une discussion sur la musique de Desplat pour Ghostwriter quand on a abordé la musique de La Fille sur l’étagère. Ce n’est pas le même sujet, mais le film de Philippe évoque aussi, d’une manière ou l’autre, les fantômes. On s’en est inspiré pour mettre un souffle dans la flûte de manière assez fantomatique. Il se trouve que j’aime beaucoup cette musique de Desplat, c’est ma préférée, je crois.

Philippe Safir : Je trouve qu’Antoine est un peu de la même école qu’Alexandre Desplat, une certaine tradition française de la musique de cinéma, classique dans le bon sens du terme et très tournée vers la narration. La BO de Ghostwriter, je l’ai beaucoup écoutée quand j’écrivais La Fille sur l’étagère. Je l’aime beaucoup, parce que les orchestrations sont simples, mais assez originales en même temps, avec des éléments que l’on ne s’attendrait pas à entendre. C’est le plaisir de la musique du film, je trouve, par rapport à la musique classique, de faire des assemblages et des orchestrations originales. Tu n’es pas obligé d’équilibrer les instruments. Tu peux pousser le curseur un petit peu plus loin, parce que c’est au service de la narration. Après, il y a deux types de musiques de films : celles qui s’intègrent purement, organiquement dans le film comme celle de Ghostwriter ; celles qui sont formidables, mais qui flottent au-dessus du film et que tu as du plaisir à écouter en dehors.

A.G. : Je trouve qu’aujourd’hui, en France, chez les jeunes réalisateurs et réalisatrices, il y a une peur de la musique de film. La peur de forcer l’émotion. J’entends ça tout le temps, et je peux comprendre. Mais on peut accompagner l’émotion sans tomber dans le pathos.

2. Bernard Hermann, Vertigo (1958)

A.G. : Les musiques de Hermann, c’est génial. Ce n’est pas une musique qui s’excuse d’être là.

P.S. : Oui, Sueurs Froides en particulier, c’est ma musique de Hermann préférée. Je trouve qu’elle est exceptionnelle, elle a une telle puissance, mais sans être en dehors du film. Elle l’accompagne pleinement, elle est un narrateur de l’histoire.

A.G. : On peut penser que c’est une musique qui prend trop d’importance par rapport au film, mais je trouve que ce n’est pas le cas du tout. Et pourtant, elle tape fort ! Mais c’est une époque où les compositeurs de films avaient une culture classique extrêmement forte. Ils étaient nourris de grandes partitions. Il y a donc une richesse d’écriture qu’on ne retrouve plus vraiment aujourd’hui. Je ne saurai pas l’expliquer, mais le langage s’est vraiment appauvri. On a aussi exploré d’autres facettes de la musique de films qui sont intéressantes, mais, en termes de langage musical, il y a une richesse à cette époque-là qui n’existe plus.

3. Johann Johannsson, Arrival (2016)

P.S. : Les musiques de Johannsson, en particulier dans Premier Contact, sont formidables. Ce n’est pas très mélodique, mais il y a une puissance très évocatrice.

A.G. : C’est sûr. Il faut dire qu’on ne produit pas du tout de la musique de la même manière. Avant, ils enregistraient la musique du film et c’était terminé. Aujourd’hui, la musique se réfléchit avec le son du film, un compositeur ne peut pas s’affranchir du design sonore. Il y a parfois une recherche de dingue pour mélanger les deux. On déplace le curseur créatif, non pas forcément sur le langage musical, mais sur la manière dont on va produire la musique.

 

4. John Barry, The Knack (1965)

A.G. : Bien que je ne l’écoute jamais quand j’écris, la BO de John Barry pour Le Knack… et comment l’avoir de Richard Lester est une de mes musiques préférées. C’est un film bizarre, très expérimental, à la Swingging London. Et Barry est surtout connu pour sa musique de James Bond. Mais là, le thème qu’il réutilise plusieurs fois avec des variations est absolument somptueux.

5. Nicholas Britell, Succession (2018)

A.G. : Je suis fan du travail de Britell. Il a une double culture, entre classique et jazz. Et c’est quelqu’un qui vient vraiment de l’écriture musicale. Le thème de Succession, par exemple, n’est pas simple. C’est un peu chopanisant, pas facile à siffler. Mais ça a fait un carton.

P.S. : Oui, c’est un mélange d’efficacité avec des éléments très puissants et directs, et en même temps, quelque chose d’extrêmement raffiné. Et puis, il y a cette espèce de rythme presque hip-hop, qui évoque New York.

AG : Tu as aussi les cordes, massives. Ce ne sont pas des cordes classiques. C’est une contrebasse de l’enfer ! Du pur son. Et puis, il y a plein de variations sur le thème. Parfois, il enlève même le thème, il ne met que la grille, que les accords, dans les moments d’abattement des personnages, et ça fonctionne. Comme si le thème était là sans être là.

6. Cliff Martinez, The Knick (2014)

P.S. : Dans cette série de Steven Soderbergh, il y a cette idée géniale de Cliff Martinez. C’est une série médicale d’époque, et en même tu as une musique électro ultra moderne qui flotte. Ça produit un effet hallucinant.

6. Daniel Pemberton, The Trial of the Chicago 7 (2020)

A.G. : C’est toujours un débat, sur les films qui sont ancrés dans une période de l’histoire précise : faut-il utiliser de la musique anachronique ou non ? Je trouve qu’il y a un super exemple d’un compromis dans la B.O. des Sept de Chicago d’Aaron Sorkin. Déjà, la musique d’ouverture a l’air clairement seventies, mais ne l’est pas complètement. Ça nous évoque le contexte des émeutes anti-guerre du Vietnam, mais sans être dans la reconstitution. Et puis, il y a une scène qui m’a particulièrement marqué. C’est une scène d’émeutes, un grand plan séquence, très long. Et ça commence juste à la caisse claire. C’est un grand crescendo de caisse claire, mais qui monte sur des minutes et des minutes… Ça te fait monter une tension avec juste un instrument qui tape, et qui accélère doucement, etc. La tension monte avant l’image. On sait donc ce qui va se passer, sans qu’on l’ait encore vu. On est dans cette appréhension de l’émeute.

7. John Williams, Schindler’s List (1994)

A.G. : John Williams, ça fait partie des musiques que tu ne peux pas écouter quand tu écris, sinon, tu ne fais que plagier ! Mais cette musique pour La Liste de Schindler, c’est tellement beau, ça me donne des frissons à chaque fois. Il faut dire que ce thème est joué par Isaac Perlman, qui est un violoniste israélien, un des plus grands violonistes du monde, qui donne là une interprétation folle. On en parle peu, mais il faut aussi mettre à l’honneur les interprètes, parce que c’est vrai qu’il y a des super compos, La Liste de Schindler sans Perlman, ce n’est pas la même chose. Il apporte une sensibilité au violon, à ce moment-là de sa vie, de son histoire, qui fait qu’il se passe quelque chose au-delà de l’écriture.

8. Ennio Morricone, The Mission (1986)

P.S. : Morricone, c’est bien sûr génial, mais sa musique est souvent au-dessus du film. On se souvient plus souvent des musiques que des films. Mais il y a une exception, c’est la musique qu’il a faite pour Mission de Roland Joffé. C’est une musique qui est avec le film, et qui l’élève. Je crois que c’est l’objectif de toutes les musiques de films.