Ces temps sont débilitants et immobiles. L’art est réduit à la portion congrue de nos écrans. Nos voyages ne sont qu’utilitaires pour aller d’un point à un autre, et d’un chez-soi à un lieu de travail. Heureusement, des travellings nous happent de la fenêtre de nos transports en commun. C’est dans les trains qu’ils sont les plus beaux. Latéraux, ils caressent des villages coquets et endormis, des HLM blêmes malgré leurs couleurs, des jardins ouvriers bien rangés qui n’attendent que le printemps, des périphéries urbaines tristes et infinies, des champs verdoyants battus par les vents. Ils nous consolent (un peu) de l’absence d’images en mouvement. D’images en grand… Et puis le train s’arrête.
Sur le quai, deux grands panneaux publicitaires vitrés se tiennent serrés l’un contre l’autre, en dépit des mesures sanitaires. On les envierait presque. À l’intérieur, deux affiches jumelles annoncent la sortie « le 16 décembre » (soupir) du film de Charlène Favier, Slalom. L’affiche de droite s’est effondrée dans son cadre, elle forme un petit tas triangulaire, où les lettres composant le titre semblent prises de boisson, où les visages gondolent, la couleur rouge domine sous le bleu saturé de plis aléatoires, comme des vagues trop régulières pour être vraies (gros soupir).
L’affiche de gauche expose toujours dans l’ordre le bleu cyan et le rouge écarlate. Dans sa partie basse, le blanc d’un massif enneigé en fond d’espace, telle une montagne de crème chantilly, sépare et unit à la fois les deux visages de profil. La skieuse nimbée de rouge et l’entraîneur presque entièrement assombri de noir se font face. « Un film majeur, la révélation d’une superbe cinéaste. », dit le slogan bien aligné tout en haut (gros gros soupir). Le film existe, dans sa boîte et dans la mémoire de ceux d’entre nous qui ont assisté aux avant-premières, aux festivals des Arcs, de Deauville et d’Angoulême, ou aux projections pour les professionnels et la presse. Il finira, comme tous ces films de 2020 dont la carrière s’est arrêtée net ou n’a pas pu commencer, par être montré au grand public, « prochainement » (énorme soupir). Play it again, Germaine, un jour, la vie va reprendre et elle sera plus belle. Car nous saurons l’inestimable prix de tout ce qui nous a manqué.