La puce à l’oreille #1
Et si l’on essayait de caractériser ensemble l’air du temps ? Tentative subjective ici, qui espère vos commentaires pour y voir plus clair.
C’était en 2011. Melancholia de Lars Von Trier était présenté en compétition officielle au Festival de Cannes. Sa durée : 2 h 15 (ce qui fait 8 au total, le chiffre de l’infini). La salle où il est projeté porte le nom des frères qui ont inventé le cinéma : Lumière, la nef absolue du 7e art. L’endroit où il y a peu de chance que quiconque se fasse l’intégrale de Fast and Furious. Entre ces nobles murs, les plus beaux films de l’histoire du cinématographe ont été projetés. Pour un cinéaste, c’est la consécration suprême de voir son œuvre révélée sur un écran aussi monumental. L’acoustique de cette salle est parfaite, tant et si bien que l’édifice revêt des atours de lieu de culte avec son cortège d’égrégores espérés et souvent opérants.
En 2011, donc, je me souviens de la projection de Melancholia, un soir de ce 64e Festival de Cannes. Son dernier plan m’avait glacé les sangs. On y voyait Charlotte Gainsbourg protéger son enfant dans un abris de fortune, tandis que la Terre était sur le point de se faire percuter et détruire par une météorite (ou le soleil lui-même, je ne sais plus). Le genre d’image apocalyptique qui vient se nicher brutalement dans votre psyché et dont je me serais bien passée. Nous n’étions plus que deux dans la salle à la toute fin du générique, dont nous avons suivi le déroulé jusqu’au bout, sur le côté gauche de la salle, d’un regard oblique – et prudent. Je reverrai toujours le visage effaré du journaliste Pierre Murat qui a quitté l’édifice avec moi, alors que les autres festivaliers avaient filé à l’anglaise depuis un moment. Aussi étrange que cela puisse paraître, il m’est apparu évident qu’il ne s’agissait pas là d’un simple film. Encore moins d’un film simple. Le générique achevé, le silence dans la salle Lumière s’apparentait à un silence de mort.
Face à ce spectacle ce soir-là, mon intuition s’est affolée. Il m’apparaît plus que probable que le redoutable Lars von Trier ait été puiser dans les profondeurs de son inconscient pour matérialiser à l’écran un futur tragiquement possible. Contrairement à Werner Herzog dans Family Romance LLC, qui, lui, nous alerte quant aux ravages de la mélancolie de manière douce et subtilement suggestive (tellement subtil que le film, distribué par la maison humaniste Nour Films, est passé inaperçu ou presque), Melancholia joue la carte de l’esthétisation à outrance et sombre, malgré certains plans sublimes (très inspirés par les tableaux des préraphaélites et notamment ceux du peintre britannique John Everett Millais), dans la complaisance.
Par chance, le cinéaste, qui devait remporter la Palme d’or, a fait la bévue de sa vie en tenant des propos douteux en pleine conférence de presse. Là aussi, son inconscient s’est exprimé (en allemand « inconscient » se dit Bewusst, ce que Lacan « translettre » en « bévue »), sans doute, pour le bien de tous. Car une Palme d’or propulse médiatiquement un film sur le devant de la scène et im-pacte les consciences plus fortement qu’un film sorti sans tenue de gala sur le dos. Or, que serait-il arrivé s’il avait obtenu la distinction suprême ? Combien d’âmes sensibles, comme la mienne, auraient peiné à dormir du sommeil du juste avec ces images gorgées de bile noire plein le cerveau ?
Rappelons que c’est Tree of Life de Terrence Malick qui est reparti avec la Palme. Son film est une magnifique ode à la vie. Il n’y avait pas photo !
La suite : bientôt. Vous restez avec nous ?