Quand le cinéma et la vie quotidienne se mêlent l’un à l’autre…
Alors que j’ouvrais ma fenêtre au petit matin dans un état de demi-sommeil encore rémanent, je me fis spectatrice d’une scène aussi étrange qu’anodine. Mon voisin d’en face, levé dès potron-minet lui aussi, se tenait la tête en arrière, le bras tendu vers le ciel, et prenait une photo avec son smartphone. Il semblait s’adonner à la tâche avec application et resta un temps certain à tenir la pose. Tant et si bien que je finis par me demander ce qu’il pouvait bien photographier avec autant de ferveur. Une araignée acrobate à l’agilité remarquable ? Un vol de cigognes inopiné dans l’horizon lointain ? Un nuage aux formes suggestives ? Une voisine en posture yogique à sa fenêtre ? Le cliché se destinait-il à ses archives personnelles ou allait-il voyager sur les réseaux sociaux ? Et si oui, quelle en serait la trajectoire ? Le bord de mon velux masquait l’objet du geste photographique. Je le hissai davantage, stoppant ainsi net la valse de mes hypothèses : mon voisin tentait de déterminer l’origine d’une fuite d’eau provenant de l’étage du dessus. Ou comment l’image d’un plombier masqué appelé à la rescousse a cloué le bec à mon imagination fertile.
Je passe devant mon ordinateur et vois arriver un nouveau message du professeur de solfège de mon fils. Mon regard encore embué le scanne fugacement. Je crois lire « Bisous » en bas de page, fronce les sourcils, et me ressaisis dans un effort de mise au point oculaire : « Bien à vous » conclut bel et bien l’envoi des devoirs de la semaine. Le réel gagne en netteté peu à peu. La nuit retourne jouer en coulisses. On voudrait lui suggérer de ne pas trop se hâter tout de même. Il y a du bon à naviguer dans cet état intermédiaire entre deux mondes. C’est sans doute dans cette brèche que se récoltent nos herbes folles. Elles font un parfait terreau pour nos créations, aussi modestes soient-elles.
J’allume la radio et écoute le flash en cours de France Inter. Donald Trump semble avoir été traversé par un éclair de génie d’une rare puissance et se demande si le fait d’ingérer du détergent ne permettrait pas de tuer le Coronavirus dans un corps humain infecté – suis-je vraiment bien réveillée ? Je finis par croire que le dirigeant américain veut nous faire hurler de rire pour le bien de notre santé, et serais tentée de l’en remercier si la situation n’était pas si dramatique.
Dans le même temps, la fin éblouissante de Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais me revient en mémoire. Ce film d’une folle modernité se conclut sur un avertissement formulé par le neurobiologiste Henri Laborit, dont les théories comportementalistes nourrissent ce très audacieux scénario signé Jean Gruault : « Tant que l’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, et tant qu’on n’aura pas dit que jusqu’ici, ça a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quelque chose qui change ».