Des visages, connus et d’autres pas. Et soudain, sans vraiment comprendre pourquoi un visage s’impose. Dans la vie ça s’appelle un coup de foudre. Au cinéma, c’est une incarnation.
Dans La Fracture de Catherine Corsini, présenté ce vendredi soir en compétition, il est question d’os cassé mais aussi de différences sociales ressemblant à des gouffres. La première réalisatrice en lice pour la Palme cette année nous propose une plongée en apnée d’une nuit dans le service des urgences d’un hôpital public parisien sous tension (euphémisme !), tandis que dehors de sévères répressions policières contre les manifestations des gilets jaunes font rage. Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmaï font très très bien leur boulot d’actrices et d’acteur et la mise en scène assure avec rapidité et fluidité l’organisation du chaos.
Pourtant, par moments, quelque chose nous manque, de l’ordre de la réalité, et soudain on comprend en l’absence d’un certain visage, la fiction fonctionne moins bien. Au sens où elle fait trop « fiction » justement. Cette femme, qu’on a vue au début prendre son service pour une sixième garde de nuit consécutive, évoquer son bébé malade et son mari énervé, et qui, tout au long du film fait affleurer quelque chose de différent, d’unique. Cette femme s’appelle Aïssatou Diallo Sagna, elle est aide-soignante, dans la vie et a passé par hasard le casting en croyant postuler pour une figuration. Elle est infirmière dans le film. Jamais en force et pourtant si présente, juste dans chacun de ses gestes et dans son être entier. Dans son émotion aussi, qui clôt le film et, d’une certaine façon, le sauve. Elle est l’essence de cette histoire. « Un miracle », comme dit Julie Allione, la casting director. Une apparition. Ou plutôt « une femme exceptionnelle, comme le sont toutes les femmes, chacune à leur tour », disait Fabienne Tabard à Antoine Doinel dans Baisers volés de Truffaut. Aïssatou Diallo Sagna, Aïssatou Diallo Sagna, Aïssatou Diallo Sagna.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, un autre visage nous transporte et nous transcende. Un femme exceptionnelle, encore. Débutante merveilleuse. Roc auquel s’arrime, pour son deuxième film comme réalisatrice, Hafsia Herzi dans son remarquable deuxième long métrage Bonne Mère (lire notre critique), Halima Benhamed est la bonté, la beauté, la force et l’humilité incarnées. De tous les plans, mère courage, stature plus que statue, elle EST.