Et le septième jour, la chroniqueuse vit qu’il lui fallait parler des films de la veille et de l’avant-veille. Quelqu’un a-t-il un chausse pied ?
Demi Moore. Certains se souviennent encore qu’elle fabriquait des vases avec un fantôme dans Ghost (1990) de Jerry Zucker et y gagna ses galons de star. Cette solide actrice du siècle dernier fait un retour remarqué dans The Substance de Coralie Fargeat, présenté hier en compétition. Excellent choix que Demi Moore, sublime, engagée et sans filtre, pour le rôle d’Elizabeth Sparkle, ex gloire d’Hollywood reconvertie dans le fitness pour show télévisé qui se voit soudain placardisée en raison de son âge. Et signe un pacte avec le diable. Cette fable pseudo féministe commence très bien : élégance et rapidité, on y croit. Et puis, au bout d’une heure, on a bien compris le côté Portrait de Dorian Gray version gore avec corps ouverts et fluides en tous genres. Faut c’qui Faust ! Sauf que rien n’évolue, tout devient répétitif, outrancier. Et, hélas, le message (stop à la dictature du jeunisme) brouillé à force de montrer sous tous les angles la plastique fessière de Margaret Qualley ne s’accompagne d’aucun approfondissement. Et se dilue, juste pour le fun, dans un torrent d’hémoglobine. En compétition, The Substance ? Ça méritait une séance de minuit pour faire hurler la foule à bon compte. Tout au plus.
Kevin Costner, lui, a gagné une médaille à Cannes, elle lui fut remise des mains de la ministre de la culture, Rachida Dati. Ce sera bien la seule. Car il a raté, hélas, le début de sa grande saga du western intitulée Horizon, présenté en séance spéciale. Plusieurs fils narratifs qui ne se lient pas vraiment et une fin bâclée en forme de « prochainement » de série télé. On voit par-là que ce n’est pas dans les vieilles légendes qu’on fait les meilleures soupes. Jacques Audiard, avec sa comédie musicale sur un narco-trafiquant décidé à faire sa transition (lire ici notre chant d’amour), a surpris et séduit une bonne partie de la critique et du public. L’ovation fut longue à Lumière, mais ce n’est guère un critère. Y gagnera-t-il une deuxième Palme d’Or après Dheepan en 2015 ? Certains en rêvent. D’autres supputent. C’est le sport national ici. La supputation devrait passer discipline olympique. J’en connais qui n’auraient pas assez de revers à leurs vestes. Donc, ça ne mange pas de pain : même si Limonov, la ballade de Kirill Serebrennikov d’après le roman d’Emmanuel Carrère déçoit, perso je verrais bien Ben Wishaw décrocher une médaille en forme de prix d’interprétation. Déception pour Caught By The Tides du chinois Jia Zhangke, immense réalisateur (A Touch Of Sin, Au-delà des montagnes, Les Éternels) qui revisite avec talent tout son cinéma à travers des rushes prenant pour fil rouge les changements dans certaines provinces de son pays et une femme en rupture (son actrice fétiche merveilleuse, Zhao Tao). C’est, avouons-le, un peu aride et, malheureusement, ça manque de fiction.
Il y a aussi du beau, du bon cinéma dans les sections parallèles et même en séances spéciales. Dans le droit fil des questions sur la parole des femmes et comment elle s’exprime Julie Keeps Quiet de Leonardo Van Diejl, présenté à la Semaine de la Critique, est une claque. Julie, championne de tennis apprend que son coach a été écarté suite au suicide d’une joueuse. Elle déboute toutes les questions, n’a rien à dire, ne comprend pas ce qu’on lui veut. Visage fermé, corps dévolu à l’entraînement, Julie fait son chemin petit à petit. La caméra, si proche, entre dans la tête de cette adolescente boudeuse qui ne veut pas savoir, ni voir, ni entendre. Le travail sur le son est remarquable. Et Tessa Van der Broek, mutique, butée, est ce corps en marche vers la prise de conscience. C’est bouleversant et superbe.
Vingt Dieux de Louise Courvoisier (Un certain Regard) est le film le plus fédérateur que l’on ait vu depuis longtemps. Pas un critique croisé entre deux courses à pied d’une salle l’autre qui ne vous dise son amour absolu pour ce bijou de premier long métrage. Rural et habité par des non comédiens, il est d’une justesse et d’une douceur inouïes, pour dire le deuil, l’âpreté du monde, l’apprentissage de la tendresse. On y voit un jeune garçon de 18 ans, Totone (génial Clément Favreau, débutant lui aussi), grandir sous nos yeux et passer par des zones de désir inattendues : dans Diamant Brut de Agathe Riedinger, Liane voulait devenir star de la téléréalité, Totone, lui, veut fabriquer le meilleur comté du pays. À chacun son rêve. Dans En fanfare d’Emmanuel Courcol présenté à Cannes première, on rit, on pleure et ça fait un bien fou. Inspiré d’un certain cinéma anglais (Ken Loach, Mark Hermann), le film pourrait paraître formaté : un chef d’orchestre riche et mondialement connu fait la connaissance de son frère, pauvre et tromboniste dans une fanfare du nord de la France. Mais il sort de ses rails et surprend joliment, porté avec un vrai sens du tempo par le duo Benjamin Lavernhe/Pierre Lottin.
Dernière minute, un de mes amis, Gédéon (le prénom a été changé) me félicite pour mon humour rapport à mon évocation de la Palme Dog dans la chronique #J4. Mais non, Gédéon, ce n’est pas une invention due à la folie délicieuse de mon cerveau embrumé, c’est une information ! La Palme Dog existe, je ne l’ai pas inventée, mais quelqu’un l’a fait, en 2001, et elle perdure depuis. Ils avaient envisagé la Palme anaconda, la Palme ornithorynque, la palme chinchilla. Mais allez savoir pourquoi, ça n’a pas pris…