Question : les décolletés hyper-plongeants qui ne bougent pas d’un millimètre pendant les montées des marches tiennent-ils grâce à du scotch double face ?
Tandis que le temps menaçait de transformer toutes ces dames en montgolfières, avec le vent fripon s’engouffrant sous leurs jupons comme dans une chanson de Georges Brassens, la montée des marches de Emma Stone, Willem Dafoe, Margaret Qualley et Jesse Plemmons pour Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos, a été spectaculaire. Le film, après Pauvres Créatures, son Lion d’or à Venise, ses Oscars et ses multiples prix un peu partout, était très attendu. Désormais, il divise. Dans les rangs de BANDE À PART comme ailleurs. Trois histoires distinctes avec des acteurs communs dans des personnages différents. Trois fables sur la volonté, l’amour, la croyance, la dépendance. Dit comme ça, je sens bien que vous êtes alléchés. Mais Lanthimos filme ces êtres comme des pantins. Qui sont-ils, pourquoi agissent-ils ainsi ? Allez savoir. La mise en scène est élégante et deux trois détails pour faire rire (le slip orange de Dafoe… cherchez pas, ça dure deux secondes) détendent l’atmosphère entre les gifles, deux chutes mortelles, des accidents de voiture et une scène de vomi. Un peu vain, privilégiant la forme, oubliant le fond, Kinds of Kindness ne parle que de fausse gentillesse et de vraie manipulation. Il apporte de l’eau au moulin de ceux – dont je suis – qui pensent que Lanthimos n’aime pas ses personnages, en particulier, ni le genre humain, en général. C’est son droit, mais c’est notre droit à nous de ne pas aimer les films misanthropes, tout visuellement élégants qu’ils soient.
Autre montée en fanfare : Richard Gere, Uma Thurman et la nouvelle coqueluche Jacob Elordi (Priscilla, Saltburn) venus présenter Oh, Canada de Paul Schrader. Parce qu’il ne dure qu’1 h 35 contre les 2 h 45 du précédent, il lui sera beaucoup pardonné. Enfin, un peu. Pas trop. Le scénariste de Martin Scorsese, réalisateur des très réussis Blue Collar et American Gigolo, adapte un roman de Russell Banks. Un célèbre réalisateur de documentaires sur le point de mourir donne sa dernière interview à des anciens amis/élèves, en présence de sa compagne de trente ans, Emma. Mais d’une réflexion sur la célébrité et la quête de pardon, le réalisateur du remarquable Affliction, déjà d’après Russell Banks, signe un film soit trop long, soit pas assez. Ce portrait d’un séducteur inconséquent, qui quitta femme et enfant à la fin des années 1960, en l’état, ne dit rien, ni sur l’époque qu’il est censé raconter ni sur l’art. La mémoire de Leo (Richard Gere) embrumée par les médicaments n’explique pas toutes les approximations du scénario, le film souffrant d’un montage qui semble aléatoire.
Troisième film en compétition et le moins célébré puisque peuplé d’acteurs inconnus du grand public aux noms imprononçables, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde de Emanuel Parvu est la très bonne nouvelle du jour. En Scope et tout en lenteur westernienne, il raconte une histoire contemporaine qui semble avoir cinquante ans, dans un petit village du Danube où tous les accès vers l’extérieur et la ville la plus proche se font en barque. Sans trop en dire, c’est après que le jeune Adi, 17 ans, est rentré chez lui le visage tuméfié et que ses parents et la police cherchent à comprendre pourquoi, une histoire d’homophobie, de qu’en-dira-t-on et de corruption, qui dévoile toute une partie de la société roumaine (du pêcheur au notable en passant par le prêtre et le policier), archaïque, empêchée d’avancer. Passionnant comme un thriller et complètement glaçant, dans une lumière qu’on dirait hésitante, avec de solides acteurs, dont les noms ont été très joliment prononcés hier par la nouvelle voix féminine des marches (celle de la journaliste et productrice Hélène Verbois) : Laura Vasiliu (découverte à Cannes chez Christian Mungiu, dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Palme d’or 2007), Bogdan Dumitrache (Mère et Fils de Calin Peter Metzer) et le débutant et prometteur Ciprian Chiujdea.
Rien de ce qui est roumain ne nous est étranger désormais et c’est tant mieux. Autre apprentissage inattendu : l’affinage du comté dans le très beau Vingt Dieux de Louise Courvoisier présenté à Un Certain Regard. Emballement total dont nous vous ferons part après la trêve dominicale…