Festival de Cannes 2024 #J2 - Mercredi 15 mai

Le vortex cannois

Meryl Streep forever, Camille Cottin parfaite et des tas d’ouvertures. C’est (bien) parti !

Marches rouges glamour, hier mardi, pour l’ouverture du Festival 2024. Un calicot vite escamoté du collectif « Sous les écrans la dèche », quelques robes en rideau, pas de pluie (elle est venue plus tard). Et du beau monde, comme il se doit. Des anonymes, Meryl Streep, des mannequins, Meryl Streep, une miss France, Meryl Streep, des actrices, Meryl Streep, des acteurs, Meryl Streep… Et de bien beaux jurys, celui d’Un Certain Regard étant présidé par Xavier Dolan et celui de la Caméra d’or, conjointement, par Emmanuelle Béart et Baloji. Quant au « grand » jury composé de Ebru Ceylan, Eva Green, Lily Gladstone, Nadine Labaki, Omar Sy, Hirokazu Kore-eda, Pierfrancesco Favino, Juan Antonio Bayona, il est présidé par l’actrice réalisatrice Greta Gerwig. La maîtresse de cérémonie, Camille Cottin, a salué la carrière de cette dernière, « reine du cinéma indépendant » ayant, en un film (Barbie), « fait exploser le box-office en s’attaquant au plus grand méchant de tous les temps : le patriarcat. »

Cannes 2024. Copyright Laurent Koffel.

Parfaite Camille Cottin, à la fois émue et efficace, qui a égrené quelques particularités du « vortex cannois», ce monde  où « l’espace, le temps, la santé aussi vont devenir des notions un peu floues ». Avant de préciser que « les rendez-vous professionnels nocturnes dans les chambres d’hôtel des messieurs tout-puissants ne font plus partie des us et coutumes du vortex cannois suite à l’adoption de la loi MeToo ! »  Elle s’en félicitait, même si, doit-on ajouter, il y a encore du chemin, à parcourir dans les faits (et l’hémicycle de l’Assemblée Nationale) pour arriver à un texte satisfaisant… « L’état du monde nous inquiète, nous glace les sangs, des lignes de fracture profondes divisent les peuples,  la planète brûle, notre intelligence collective pourrait devenir artificielle (…) Le réalisateur David Wark Griffith,  en 1945, a prédit qu’en 2024, « le cinéma aura contribué à éradiquer du monde civilisé tout conflit armé  »… Alors, David, on n’est pas complètement dans les temps, on est un peu charrette, mais on y travaille, c’est promis. », a encore dit Camille Cottin, qui décidément a trouvé le ton et les mots justes pour exprimer avec simplicité mais fermeté tout ce qui nous bouscule et menaçait de bousculer cette cérémonie.

Joli moment avec Zhao de Sagazan apparaissant dans le public, chantant et dansant « Modern Love » de David Bowie en hommage à Greta Gerwig dans Frances Ha (2012) de Noah Baumbach (dont celle-ci était l’auteure et l’interprète, et où elle-même rendait hommage à Denis Lavant dans Mauvais Sang (1986) de Léos Carax…) Et, pour sa Palme d’or d’honneur, l’immense, l’impériale, l’unique Meryl Streep reçut une très longue ovation debout et un hommage ému en anglais par Juliette Binoche.
C’est donc parti pour la compétition en vingt-deux films réalisés, toujours selon les mots de Camille Cottin : « par quatre femmes téméraires et dix-huit hommes valeureux » La compétition débute aujourd’hui avec deux films, dont le très attendu Diamant brut, premier long d’Agathe Riedinger sur une jeune fille, la célébrité et la télé-réalité. Et puis, ce soir, les autres sections ouvrent à leur tour leurs bras. Un Certain Regard, qui fait partie de la sélection officielle, présente, en sa présence, le court-métrage documentaire de Judith Godrèche, Moi aussi, tourné par l’actrice réalisatrice suite à son appel à témoins sur les violences faites aux femmes, ainsi que When the Light Breaks de l’Islandais Rúnar Rúnarsson (Sparrows, 2016 ; Echo, 2022) ; nous y reviendrons. Du côté des sections parallèles, on frise le sans-faute. La Semaine de la Critique ouvre le ban avec audace en présentant un polar politique âpre et beau, Les Fantômes de Jonathan Millet (lire ici notre coup de cœur). Et la Quinzaine des Cinéastes nous offre l’épatant Ma vie ma gueule de Sophie Fillières. C’est l’histoire de Barberie Bichette, dite « Barbie » (Agnès Jaoui, mouvante, évidente, impressionnante), une femme avec ses creux et ses trop-pleins, ses plaies et ses bosses, sa poésie et ses angoisses. Cette comédie mélancolique, ce drame gai qui parle de création, de dépression, de mort, de nous, de tout avec élégance et foi dans le cinéma est le septième et dernier long-métrage de Sophie Fillières (Arrête ou je continue, La Belle et la Belle) disparue à l’issue des prises de vues à l’été 2023. Elle a demandé à ses enfants Agathe et Adam Bonitzer de le monter et terminer avec son équipe et d’en faire « une sortie joyeuse ». C’est tout ce qu’on souhaite, dans l’existence en général, au cinéma et à Ma vie ma gueule en particulier.