Et donc, j’avais bon : la Palme Dog a été remise à Kodi, star poilue du Procès du chien, premier long-métrage de et avec Laetitia Dosch. C’est sans doute le seul de mes pronostics qui sera validé par les différents jurys. Je suis au regret de vous avouer que je n’ai pas du tout l’oreille de Greta Gerwish. Pour le reste, je ne peux que me féliciter de la Queer Palm à Trois Kilomètres jusqu’à la fin du monde du Roumain Emanuel Parvu, chronique d’un village du delta du Danube où homophobie et corruption se propagent comme la peste. Et de L’Œil d’or du documentaire remis conjointement à Raul Peck pour Ernest Cole Photographe présenté hors compétition, et Nada Riyadh et Ayman El Amir pour Les Filles du Nil, joyeuse utopie sur la place des jeunes femmes en Égypte à travers le parcours d’un groupe de théâtre, présenté à la Semaine de la Critique. D’autres prix sont remis toute la journée de ce samedi avant le palmarès officiel de ce soir.
Mais pour l’heure, quid des deux derniers films de la compétition ? Les Graines du figuier sacré de Mohammad Rasoulof méritait l’attente. Ayant fui son pays, l’Iran, où il est menacé d’emprisonnement, il a monté les marches rouges avec à la main les photos de ses deux acteurs principaux. Dans ce film d’une puissance impressionnante, un père de famille est nommé enquêteur juste au moment où démarrent à Téhéran les manifestations « Femme, vie, liberté ». Sa femme et ses deux filles sont sommées de faire profil bas, tandis que lui doit signer des ordres d’exécution sans avoir lu les dossiers et, probablement, condamner des innocents. Les adolescentes, sur leurs téléphones portables, voient vite qu’il y a une différence entre les vidéos postées de jeunes femmes battues à mort et le discours officiel à la télévision. Ce qui s’enclenche là, d’une paranoïa intrafamiliale, avec résistance axée entre les deux sœurs, puis entre les trois femmes, est saisissant de violence. Palme d’or ? Ce serait, en dehors du geste politique, faire justice à un grand film. Mais palmarès, sans aucun doute.
Quant à La Plus Précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius d’après le livre de Jean-Claude Grumberg, c’est le film le plus émouvant du festival. Le plus poétique aussi. En animation, il conte l’histoire d’une pauvre bûcheronne recueillant pendant la guerre un enfant, juste après le passage d’un train. Dès que la voix off fatiguée, mais si reconnaissable de Jean-Louis Trintignant démarre : « Il était une fois, tout au fond d’un bois… », déjà, les larmes nous montent aux yeux. Le trait est superbe, entre la BD et l’eau-forte, entre tableaux hyperréalistes et univers à la Munch. C’est un petit bijou de film simple et beau, un film humaniste et universel.
C’est donc sur deux grands films que se termine cette compétition mi-figue mi-raisin. En attendant d’être déçu par le palmarès (une Palme énervante sans nervures ? C’est possible), tous les espoirs sont permis. Le temps est incertain, la pluie menace. Est-ce que le tapis rouge est recyclé après avoir été foulé par tous ces pieds fameux ? On ne sait. Une enquête s’impose.