Grand cru ? Pas grand cru ? La métaphore vigneronne est de retour dans les conversations. Hips.
Ivres de films et de fatigue, critiques et cinéphiles cherchent encore le film qui sera son nord, sa boussole… Étrange festival 2024. Pas de coup de cœur jusqu’à présent. Juste de grands plaisirs et de grandes déceptions. Et avec le film de Francis Ford Coppola, Megalopolis, on est au bord du chagrin d’amour. Ça commence à faire tard, on se remue ou bien ? Alors, la volonté de Gilles Lellouche de réaliser avec L’Amour ouf un grand film romantique était une vraie promesse emballante.
Adaptant le roman éponyme de Neville Thompson (après Le Grand Bain, remake non revendiqué de Regarde les hommes nager d’Oliver Parker, 2018), Lellouche replace l’intrigue dans le nord de la France des années 1980 à l’aube des années 2000. Soit Clotaire et Jacqueline, deux mômes « qui n’étaient pas faits pour se rencontrer ». Lui, famille très nombreuse, père docker, sur tous les mauvais coups ; elle, « petite bourgeoise » ayant perdu sa mère, vivant avec son père réparateur de télévision, futée, bonne élève. « Je t’appellerai Jackie ! », lui dit-il après avoir pouffé à l’annonce de son prénom. « Et moi, j’t’appellerai pas ! », répond-t-elle. En deux heures et quarante-six minutes, l’histoire se déroule ainsi en flash-back, après une ouverture façon gangsters. La musique, datant chaque époque, est omniprésente, de Yves Simon à Billy Idol en passant par The Cure. De la comédie musicale annoncée ne restent que deux moments dansés et le film, entre violence et romance, s’étire sur l’adolescence, puis l’âge adulte après une ellipse de dix ans, soit le temps passé par Clotaire en prison pour un crime qu’il n’a pas commis.
On aimerait aimer, car il y a de jolies scènes dialoguées, de beaux moments d’acteurs : Mallory Wanecque, révélée dans Les Pires confirme le bien qu’on pensait d’elle et Malik Frikah est une vraie révélation ; leurs versions adultes, Adèle Exarchopoulos et François Civil sont au diapason. Il y a aussi beaucoup de clinquant, de tape-à-l’œil, d’hommages multipliés aux clips musicaux et publicitaires, ainsi qu’aux films des années 1980. Diva + Scarface + À nos amours. Ça pétarade comme un feu d’artifice : Oh, la belle bleue ; oh, la belle verte ! Et c’est là que le bât blesse, comme si ce trop-plein et cette durée pharaoniques ne pouvaient plus nous atteindre. Par conséquent, la présence en compétition de ce film si volontariste qu’il en devient naïf (le chewing-gum qui bat comme un cœur) est contre-productive. Pourtant, sur le déterminisme social et la force de l’amour, il y a là quelque chose qui se dit et se ressent. Ce qui n’est pas si mal.
La loupe cannoise est implacable pour les films. Ce n’est pas nouveau. On le sait depuis toujours : les emportements, les sifflets, les engouements aussi, tout est épidermique et soumis à effet grossissant… Ainsi All We Imagine as Light, la première fiction de la réalisatrice indienne Payal Kapadia (Prix de l’œil d’or 2022 pour son documentaire Toute une nuit sans savoir) semble fédérer plus que de raison. Belle histoire de deux femmes de générations différentes, travaillant dans le même hôpital et vivant en colocation. Leurs rapports aux hommes, au qu’en-dira-t-on, la réelle difficulté d’être femme et libre. C’est joli, pas complètement abouti (surtout dans la deuxième partie), malgré des scènes comme volées au cœur de la foisonnante et bruissante ville de Bombay.
Que restera-t-il de ce 77e Festival de Cannes ? Aorte du cinéma international et caisse de résonance de l’état du monde, cette édition était plus que jamais écartelée par sa nécessité ontologique de faire tout et son contraire : œuvre d’auteur et grand show, invités pointus et marches glamour, politique et apolitique… Était ? Si le marché du film et les sections parallèles sont en train de boucler leurs valises, la compétition attend encore deux longs-métrages. L’espoir chevillé au corps, l’incorrigible festivalier n’a pas dit son dernier mot. Et si… ? est un des plus beaux ressorts qui soient…