Dis, t’as vu Monte-Cristo ? Allez, tous en chœur : Non, j’ai vu …
Est-ce que trop d’événements tue l’événement ? La journaliste fatiguée se voit au bord de la faute professionnelle lorsqu’elle réalise qu’elle a raté plus de films qu’elle n’en a regardé dans ce Festival de Cannes pléthorique et protéiforme. Eh oui, voir ou écrire, il faut choisir. Ce qui est un étrange paradoxe. Car, qu’écrire si l’on n’a pas vu les films ? Raaaaaaaah !
Le Festival tire à sa fin. Plus que deux dodos jusqu’au palmarès – et encore, pas trop dodus, les dodos), tandis que déjà les prix tombent en pluie. La Semaine de la Critique a tiré le rideau sur une très belle sélection et des prix en regard, parmi lesquels Julie Keeps Quiet, dont la trace indélébile ne nous a pas quittés du Festival, et aussi Simon de la montagne de Federico Luis, Blue Sun Palace de Constance Tsang et Baby de Marcelo Caetano… soit les trois films sur dix de ce très beau programme, qui n’ont pas pu entrer dans un agenda débordant. Donc, nous y reviendrons…
Hors compétition, dans le cadre de Cannes Première, le Festival ménage quelques très belles surprises. Françaises, de surcroît.
Alain Guiraudie dans Miséricorde révèle un visage du cinéma français avec lequel il faudra désormais compter : Félix Kysyl. Repéré dans Des hommes de Lucas Belvaux (2020), il est ici de tous les plans, en personnage désiré désirant, jeune homme bien planté dans la vie, qui revient au village de son enfance et sème le trouble… Comme souvent chez Guiraudie, tout est drôle, furieusement humain, inattendu… Arnaud et Jean-Marie Larrieu adaptent Le Roman de Jim de Pierric Bailly, l’histoire d’un homme sans qualité, qui accueille tout ce qui lui arrive avec une sorte de flegme mou et doux. Karim Leklou est le pivot et le centre de ce récit bouleversant de paternité choisie. Qui traverse plus d’une vingtaine d’années sur fond de Pyrénées, avec aussi Laetitia Dosch, Bertrand Belin et Sara Giraudeau. Elle est pas belle, la vie des cinéphiles ?
Et Dieu… je veux dire : la Compétition… dans tout ça ? Alors, passons par la case « geste de cinéma », qui parfois peut se confondre avec « proposition de cinéma », pour dire que oui, il y a du talent dans Grand Tour du Portugais Miguel Gomes et Motel Destino du Brésilien Karim Aïnouz. Le premier évoque entre noir et blanc et couleur, images d’hier et d’aujourd’hui, un voyage à travers l’Asie effectué en 1918 par un jeune fonctionnaire britannique. Avec, à ses trousses, sa fiancée qu’il a plantée le jour de leurs noces. Beauté de certains plans : fleurs de lotus cueillies au fil de l’eau, pandas agrippés comme de grosses boules de coton à un arbre fluet. Et entre deux, beaucoup de questionnements, qui prouvent que la magie du cinéma n’opère pas aussi bien que souhaité. Le deuxième, sorte de Facteur sonne toujours deux fois situé dans un hotel de passe bas de gamme, raconte un triangle amoureux. Couleurs bigarrées, cris de plaisir nappant la bande-son, c’est encore une fois un film sur le désir, mais quelque chose ne prend pas malgré des qualités certaines.
Restent quatre films à découvrir en compétition aujourd’hui et demain. Tout peut donc arriver. Devins, cartomanciennes, spécialistes en lunologie se précipitent sur leurs pendules et leurs boules de cristal. De ce pas, je retourne en salle. Et hop !