Frémissant de rumeurs diverses et variées, le 77e Festival de Cannes s’ouvre ce soir. Les parapluies aussi.
Avec l’affiche bleue où cinq silhouettes de dos (d’après un photogramme de Rhapsodie en août d’Akira Kurosawa) scrutent un ciel orné d’une palme, le fronton du Palais entièrement repeint en blanc et le tapis rouge, il y a comme un petit effet franco-français dans le choix des couleurs de cette 77e édition. Liberté – Égalité – Fraternité ? C’est pas gagné… On ne saurait parler que de cinéma.
Le Festival est une tribune depuis longtemps, sa chambre d’écho est trop importante pour laisser passer les occasions d’un retentissement international. Comme jadis Asia Argento accusant en 2018, en pleine explosion #MeToo, lors de la clôture du Festival devant un parterre d’invités chics et troublés, le producteur Harvey Weinstein de l’avoir violée ici même à Cannes en 1997. Ou l’image sur écran géant du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, sur la scène du Grand Auditorium Lumière en 2021, évoquant trois mois après le début de la guerre en Ukraine l’état de son pays attaqué par la Russie.
Cette année, même si ce n’est pas officiellement préparé et accepté par les instances du Festival, Thierry Frémaux ayant redit dès lundi son souhait d’une manifestation sans polémique, la politique et le réel vont forcément s’inviter parmi les strass et les paillettes. Le conflit israélo-palestinien fait rage : comment faire la sourde oreille ? Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof (Un homme intègre, Le diable n’existe pas), condamné à mort dans son pays, a annoncé hier s’être échappé et être arrivé sain et sauf en Europe. Reste à savoir s’il sera suffisamment en sécurité pour présenter son dernier film en compétition : The Seed of the Sacred Fig. Les revendications et menaces de grève du collectif « Sous les écrans la dèche » réunissant des travailleurs précaires des festivals, semblent avoir abouti sur une promesse de dialogue avec le ministère du Travail. Enfin, après les prises de parole de Judith Godrèche, Juliette Binoche, Isild Le Besco et quelques autres actrices dénonçant des comportements systémiques de violences sexuelles et de harcèlement dans l’industrie, l’épée de Damoclès d’une liste dévoilée de membres éminents de la grande famille du septième art qui auraient quelques plaintes aux trousses pour les mêmes raisons semble s’être émoussée.
Déjà annoncée pour la cérémonie des César en février, cette fameuse liste d’une dizaine d’hommes, dit-on, ne sortira pas cette fois non plus. Ça ne veut pas dire qu’une enquête fouillée, notamment du site Mediapart ayant déjà mis au jour la plainte d’Adèle Haenel en 2019, n’est pas en cours. Hier, devant le CNC, une manifestation réclamait la démission de son président Dominique Boutonnat, accusé d’agression sexuelle par son filleul et en attente de son procès. Et le magazine Elle, sur son site internet, publiait une enquête sur le producteur Alain Sarde. La présomption d’innocence reste de mise, mais le #MeToo du cinéma français ne fait que commencer et c’est tant mieux.
Si les films et les nombreux invités, notamment Meryl Streep et George Lucas, qui vont recevoir chacun une Palme d’or d’honneur, mais aussi Francis Ford Coppola de retour en compétition, et quelques nouveaux venus et nouvelles venues vont focaliser tous les regards, la vraie vie ne pourra pas être balayée du tapis rouge. Parmi les élucubrations et autres rumeurs qui ont beaucoup fait gloser ces derniers temps, il y avait celle, plutôt rigolote (ce qui nous change), disant qu’en honneur à la présidente du Jury 2024, Greta Gerwig, réalisatrice du méga succès Barbie, le tapis pour l’ouverture serait … rose… Il est rouge. Et ce soir, l’équipe du Deuxième Acte de Quentin Dupieux le foulera de concert. Vincent Lindon, Léa Seydoux, Raphaël Quenard et Louis Garrel incarnent des acteurs qui leur ressemblent un peu, jouant dans un film qui ne ressemble à rien et dont ils ne se privent pas d’interrompre le cours. Nos zygomatiques, un peu sollicités au début, finissent par se lasser d’un film certes sympathique, mais tournant finalement à vide. L’I.A., les agressions sexuelles, la cancel culture, le statut social des vedettes et quelques autres thèmes sont abordés dans ce film gigogne… Plus de fond n’aurait pas nui, plus de cinéma aussi. Mais il reste douze jours pour ça.