Peut-on échapper au réel à grand renfort de tapis rouge et de stars ? Et d’ailleurs, est-ce souhaitable ?
Sur l’affiche de la 76e édition du Festival de Cannes trône Catherine Deneuve, souriante, un rien désinvolte. En un mot : sublime. Photographiée en noir et blanc par Jack Garofalo sur le tournage de La Chamade d’Alain Cavalier en 1968, elle tire sa blonde chevelure vers le ciel. Bleu azur, le ciel. Et j’ai cru entendre de longs oufs de soulagement. Mais la météo est tracassière. Imaginez un peu, ma bonne dame, que l’ouverture de ce soir coïncide avec celle des parapluies ?!
Sur la toute petite planète Cannes, les myriades d’accrédités (à la louche : 4000, dont la moitié de journalistes !) n’en finissent plus d’arriver. Ils découvrent que leur chambre louée à prix d’or est plus petite que sur la photo. Ils se mettent en quête de leur badge en espérant une couleur qui serait un sésame assuré. Ils demandent à toute connaissance rencontrée si celle-ci a réussi à obtenir une place pour Indiana Jones et le cadran de la destinée. On sent comme un léger désintérêt pour tout ce qui bouleverse notre pays et le monde en ce moment. La préfecture des Alpes-Maritimes a, comme chaque année désormais, publié un arrêté interdisant toute manifestation sur la Croisette, et ce du 16 au 27 mai. Manquerait plus qu’un drapeau rouge s’invite sur le tapis assorti. Oublions la révolte qui gronde contre la réforme des retraites, et la promesse de la CGT de « faire son cinéma à Cannes ». Tout ici ne doit être que luxe, calme et volupté. Faisons fi de la grève des scénaristes à Hollywood, les films sont là et de grandes stars américaines sont annoncées, de Michael Douglas (palmé d’honneur ce soir même) à Martin Scorsese, en passant par Harrison Ford, Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Margot Robbie, Tom Hanks ou Scarlett Johansson. Et parmi les premiers petons de stars à fouler le tapis rouge, ceux de Johnny Depp et Maïwenn ouvrent le bal ce soir à la cour de Louis XV à Versailles, avec Jeanne du Barry, écrit, réalisé et interprété par cette dernière.
Autres temps, autres mœurs. Versailles fut le théâtre, hier lundi, de manifestations du petit peuple envers le président Emmanuel Macron, qualifié de « roi » au son des casseroles. Et, en se promenant dimanche sur la Croisette, où des banderoles de photos à l’effigie des prestigieux visiteurs de Cannes masquent un chantier, on avisait, entre celles de Vincent Lindon et Jude Law, l’image de Woody Allen barrée d’une croix au feutre noir… Or, hier soir, le calicot offensé avait été remplacé par un autre, tout neuf, affichant comme sur un écran large la seule image de… Steven Spielberg. Et il semble que Johnny Depp et ses propres casseroles – en dehors du fait qu’il aborde un léger accent américain pour un roi de France – puisse faire ombrage à un film dont les qualités artistiques sont indéniables. Refusez le réel, il revient au galop.