Aujourd’hui, le Festival célèbre ses 75 ans. Tandis que les festivaliers (qui ont pris quarante ans en huit jours, Happy Birthday to us !) continuent d’espérer le très grand film qui va les chavirer.
Je me souviens du Festival de Cannes 1996. Et ça ne nous rajeunit pas non plus, c’est sûr ! Cette année-là, dès le premier jour, nous avions vu Secrets et Mensonges de Mike Leigh. Bonheur fou, plaisir intense que de découvrir ce chef-d’œuvre, mélange détonnant de comédie et de mélo. Cette famille dont les dysfonctionnements, entre un frère et une sœur, vont être mis au jour par l’irruption de la fille cachée de cette dernière. Et cet amour puissant qui naît de leur rencontre. Au bout du Festival, le film remportait la Palme d’or et Brenda Blethyn le Prix d’interprétation féminine.
A-t-on déjà vu la Palme d’or cette année ? Et d’abord, qu’est-ce qu’une Palme d’or ? C’est une bonne question et je me remercie de l’avoir posée. Sauf que je n’ai pas la réponse. En 1996, d’aucuns pensaient que Breaking the Waves de Lars Von Trier (Grand Prix du Jury) ou Crash de David Cronenberg (Prix Spécial du Jury) méritaient la cime du Palmarès. Où en est le jury 2022 présidé par Vincent Lindon ? Mystère et boule de gomme. Il reste quatre dodos jusqu’au jour J. Et neuf films en compétition ! Toutes les cartes peuvent être rebattues en un tournemain.
Il n’y a pas que des films à Cannes, il y a aussi des master class. Cinq cette année, avec Tom Cruise en début de Festival, avec Mads Mikkelsen, Alice Rohrwacher et Javier Bardem les 26 et 27 mai. Et hier, en majesté à la salle Buñuel, il y avait Agnès Jaoui, comédienne, scénariste, réalisatrice, chanteuse, femme engagée. Elle avait présenté en compétition son deuxième long-métrage Comme une image, Prix du Scénario 2004 et faisait partie du Jury présidé par Pedro Almodovar, en 2017. L’écouter parler une heure durant – de goût et d’agacements, du regard des autres, de l’écriture, de ses contradictions et de ses passions, de Jean-Pierre Bacri, Alain Resnais et Bruno Podalydès – , la trouver si vraie, intelligente, drôle, franche, malicieuse, a rempli de joie la salle entière. Cure de jouvence pour tout le monde et quelques mantras en prime.
Dans le jury 2017, aux côtés d’Agnès Jaoui, il y avait Park Chan-Wook. Et voilà – hasard, coïncidence, conjonction des planètes – que le réalisateur coréen, précédemment Grand Prix pour Old Boy (2004) et Prix du Jury pour Thirst, ceci est mon sang (2009), présentait hier son dernier opus, Decision to Leave. Cadres, couleurs et lumières magnifiques enchâssent ce diamant brut (et pas poli), ce polar se doublant d’une histoire d’amour pour raconter les hommes et les femmes, la Corée d’aujourd’hui, le rapport aux migrants et à la Chine, la violence et la soumission, le droit à mourir dans la dignité. Malgré quelques moments de creux, des afféteries à mi-parcours, on s’emballe pour des images poétiques singulières et bouleversantes.