Si un clou (du spectacle) chasse l’autre, il en va de même pour les stars sur les marches. Mais dans nos cœurs et nos rétines, ce qui persiste est d’une autre matière. L’étoffe dont sont faits nos rêves ?
Je me souviens de Julia Roberts montant les marches rouges pieds nus, le 12 mai 2016, pour la présentation hors compétition de Money Monsters de Jodie Foster avec George Clooney. On ne saura jamais si l’actrice, dont c’était la première venue au Festival de Cannes, se rebellait contre « l’affaire du Talongate » survenue l’année précédente, lorsqu’une dame fut refusée aux marches du Palais pour cause de chaussures plates. Ou si elle préféra tout simplement éviter le pire, préférant montrer ses petons plutôt que risquer un gadin du plus mauvais effet sur stilettos. N’oublions pas qu’elle a, dans Coup de foudre à Notting Hill où elle interprète une superstar américaine, joué une des plus belles scènes de déclaration d’amour de l’histoire récente des comédies romantiques… en tongs ! Hier, elle était juchée sur de fines sandales à talons, superbe en smoking noir, le cou orné de pierres rares signées Chopard, dont elle est l’égérie, et dont elle remet mardi prochain les prix à deux jeunes acteurs.
Qu’a pensé Julia Roberts de Armageddon Time de James Gray, présenté en compétition officielle et très longuement applaudi à l’issue de la projection ? Nous ne le saurons pas. Mais c’est le premier film de la compétition qui semble rassembler les suffrages de l’équipe de Bande-à-Part (voir ici notre tableau des étoiles). Si le titre rappelle un standard des Clash à la fin des années 1970, il se situe en septembre 1980 et fait également référence à une phrase prononcée par Ronald Reagan (pas l’acteur, le futur président républicain), qu’on entend dès le début du film à la télévision. Nous sommes à New York dans le Queens, lors de l’entrée en sixième de Paul Graff. Onze ans, rouquin à taches de rousseur, deuxième rejeton d’une famille juive ashkénaze de la classe moyenne américaine, il ne pense qu’au dessin et se rêve en artiste acclamé. Plutôt enclin à la rigolade, il se prend d’affection pour un autre trublion, jeune garçon noir d’origine modeste nommé Johnny. Depuis toujours, James Gray parle de liens, de familles ; ici, il se dévoile un peu plus. Armageddon Time semble puiser profond dans son histoire, être son 400 Coups à lui avec une référence directe au film de Truffaut (Prix de la mise en scène à Cannes en 1959). Mais il sait aussi s’élargir, être toutes les enfances, et évoquer la fin d’un monde, celui d’un enfant et, le nôtre. Car l’apocalypse dont il s’agit, c’est le début de la mort du rêve américain, et plus largement encore l’affirmation du règne des nantis (un jeune Trump se balade ici), du chacun pour soi et des injustices criantes. Une Palme d’or, déjà ?
Autres gens, autres mœurs. Le vétéran polonais Jerzy Skolimowski, qui fut découvert en 1965 à la Semaine de la Critique avec son premier long-métrage de fiction, Walkover, est souvent revenu au Festival de Cannes, notamment pour Le Cri du sorcier (Grand Prix spécial du Jury 1978) et Travail au noir (Prix du scénario 1982), il revient avec EO, qui signifie »hi-han », stupéfiante chronique de la vie d’un âne, inondée de musique symphonique ou synthétique. De cirque en fermes, de rencontres en déboires, notre équidé croise des humains qui ne sont pas tous recommandables. L’expérience, hommage si loin si proche à Bresson et son Au hasard, Balthazar, est immersive, étrange, troublante. Ni hommes ni bêtes, mais quelque part entre les deux, les spectateurs sont ailleurs. Et c’est un compliment.