De jeunes délinquants colombiens, une enfant sous emprise en Belgique, une famille iranienne déchirée, une journaliste américaine en mauvaise posture au Nicaragua. Le cinéma est notre boussole…
Stars à gogo sur le tapis rouge pour le 75e anniversaire du Festival de Cannes, et rebelote hier pour Elvis de Baz Luhrmann avec Tom Hanks, Austin Butler et Olivia de Jonge.
Les belles montées des marches ne font pas forcément les grands films. Et réciproquement. C’est pour ça qu’il faut un peu de tout et de tout un peu dans ce grand maelström de douze jours qui fête le cinéma. Tous les cinémas. Et qui parfois ressemble à la Foire du Trône. Ça tombe bien, parce que le quatrième film présenté par le réalisateur australien depuis ses débuts est une sorte de Foire du Trône à lui tout seul – Ballroom Dancing, son premier et meilleur en 1992, était à Un Certain Regard, puis il fit deux fois l’ouverture avec Moulin Rouge (2001) et Gatsby le Magnifique (2013). Quasiment pas un plan de plus de deux ou trois secondes, l’effet stroboscopique secoue et, certes, à côté de certains films contemplatifs, ça réveille. Mais c’est épuisant ! Ce gloubi-boulga chatoyant, mais peu incarné de la vie du King et de son lien avec son mentor (et arnaqueur en chef), le Colonel Parker, prend enfin fin (159 minutes pleines de très brèves secondes), on entend la célèbre phrase : « Elvis has left the building ». Ça faisait un sacré moment (156 minutes environ) qu’on se disait qu’on aurait bien aimé qu’il commence par y entrer.
Le Festival de Cannes est un faiseur de rois, et, dans certains cas, on se demande pourquoi. Mais arrêtons un peu avec les questions sans réponse, c’est mauvais pour le moral des troupes. Et les troupes commencent à se disperser… Clôture hier de la très belle 61e Semaine de la Critique et palmarès remis par le jury présidé par la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania. Deux beaux premiers longs-métrages parmi les sept présentés sont à l’honneur : La Jauria (Grand Prix Nespresso du Jury et Prix SACD) et Dalva (Prix Fondation Roederer de la Révélation pour la jeune et merveilleuse actrice Eva Samson). Le premier, réalisé par le Colombien Andrés Ramirez Pulido, nous entraîne dans un camp de rééducation expérimental pour mineurs délinquants, dans une villa à nettoyer et réhabiliter au cœur d’une forêt tropicale. C’est dense, magnifiquement cadré, et parfois un peu trop esthétisant, mais assurément réussi, nous y reviendrons. Le second, franco-belge, signé Emmanuelle Nicot, est le portrait d’une jeune enfant qui ressemble à une poupée adulte, habillée, maquillée par son père qui abuse d’elle. C’est le chemin vers le cœur de cette enfance brisée que montre le film avec une immense délicatesse : comment Dalva prend conscience de ce qu’elle a vécu et de ce qui a été tué en elle par l’amour monstre de ce père qu’elle chérissait. Comment elle se défait de ces déguisements de femme et retrouve (un peu) son âge et sa jeunesse. Un grand beau film.
Ce qu’il y a de bien avec ces voyages immobiles que nous effectuons tous, assis dans nos fauteuils de velours, l’œil rivé sur l’écran géant, c’est que d’un cinéaste l’autre, d’un monde l’autre, on se perd et se retrouve, et c’est magique. Leila’s Brother de Saeed Roustaee (La Loi de Téhéran) nous entraîne au cœur du réacteur quasi nucléaire d’une famille iranienne. Les parents vieillissants, les quatre grands fils précaires ou au chômage et leur sœur Leila (impressionnante Taraneh Alidoosti) qui les sert et les pousse, et n’en peut plus d’essayer de trouver une solution pour tirer tout le monde de là. Ce que dit ce film de l’Iran, de ses traditions séculaires, de l’immobilisme des anciens et du cul-de-sac des générations suivantes est terrible… mais souvent si drôle que l’audace et la violence des longs, mais brillants échanges dialogués passent comme lettre à la poste. Quittant l’Iran pour le Nicaragua, dans Stars At Noon de Claire Denis, l’atmosphère étouffante nous saisit et nous suffoque. Trish, une journaliste américaine (à moins qu’elle ne soit prostituée, ou les deux), bien que très libre, est sous la coupe de deux hommes au moins. L’un possède son passeport… et l’autre son corps à la première occasion. Elle en rencontre un troisième, Daniel (Joe Alwyn), Anglais pas très net qui est suivi par la police du Costa Rica et bientôt mis sous surveillance par la CIA. À la fois magnifique et déconcertant, le film dérive en nous laissant sur le bord de ses routes. Mais la présence électrisante de Margaret Qualley nous irrite et nous fascine, nous aide à tenir le cap.