La Semaine de la Critique #2

Récits d’une journée particulière

Découvreuse de jeunes talents, La Semaine de la Critique est souvent une histoire de premières fois. Les cinéastes y présentent leur premier ou deuxième long-métrage, et même s’ils ont pour la plupart fait leurs armes avec des courts, cette première projection mondiale est un moment unique, inoubliable et chargé en émotions intenses. 

Après avoir œuvré pendant des jours, des mois, si ce n’est des années, le film passe des mains d’un petit collectif acharné au grand public. Comme une dépossession, qui s’accompagne d’autant d’angoisse que d’excitation, vibrant jusque dans chacun des sièges de l’Espace Miramar, la salle de projection des films de La Semaine de la Critique.  

Comment vit-on cette journée si particulière ? Rituels, mantras ou superstitions jalonnent parfois ce passage de l’intimité au public. Quelles sont les émotions qui affleurent et comment le corps tient, subit ou apprivoise cette déflagration émotionnelle ?  

Pendant cette Semaine de la Critique, nous partons à la rencontre des cinéastes, actrices et acteurs pour raconter ce récit des premières fois.    

Avec Stéphan Castang (réalisateur de Vincent doit mourir), Iris Kaltenbäck (réalisatrice du Ravissement), Raphaël Balboni et Ann Sirot (réalisateur.ice du Syndrome des amours passés), Jason Yu (réalisateur de Sleep), Vladimir Perišić (réalisateur de Lost Country), Lillah Halla (réalisatrice de Levante), Céleste Brunnquell et Erwan Le Duc (actrice et réalisateur de La Fille de son père).

Comprendre son propre film

« Ce moment est très particulier. J’ai fait des courts-métrages jusque-là et j’avais toujours le trac avant de les présenter. La veille, j’essaie de bien dormir, de me réveiller sans trop avoir la gueule de bois, puis de rester concentré toute la journée.

Lors de la projection, il y a l’attention d’une salle, la manière dont elle témoigne de son émotion, les rires et les silences. C’est forcément différent de ce qu’on avait imaginé. Je crois que c’est seulement quand je suis avec des spectateurs que je comprends vraiment ce qu’on a fabriqué. »

 

Stéphan Castang

Les conditions idéales

« La veille de cette première, j’ai très mal dormi, quasiment une insomnie. Je n’ai pas du tout de recul sur le film. J’appréhendais la manière dont il allait être reçu et vu.

Une fois qu’on est dans le bain, tout s’enchaîne très vite, les rendez-vous presse, la projection du matin à présenter… Je crois que j’étais assez fragile et fébrile, car montrer un film, c’est s’exposer. Mais j’étais encouragée par la manière dont on est reçu à La Semaine de Critique. C’est extrêmement chaleureux et bienveillant, et je pense que ce n’est pas le cas partout. Ce sont les conditions idéales pour présenter un premier film. »

 

Iris Kaltenbäck

Essayer et percevoir

« Le moment où on montre le film pour la première fois, c’est là qu’on comprend comment le film va être perçu. On a eu deux projections et on peut voir qu’il y a des similitudes dans les réactions des deux publics. Il y a quelque chose qui s’opère et c’est fascinant de voir tout ce qu’on a essayé, et tout ce qui se produit avec les spectateurs.

Nous, on fait cette comédie romantique (Le Syndrome des amours passées, NDLR) et en même temps on essaie de creuser des sujets, de parler de choses plus profondes. Pendant les discussions qu’on a eues avec les gens à la sortie, on voit qu’il n’y a pas que l’humour qui est passé, mais aussi toutes les réflexions qu’on a essayé de mener, tout ça apparaît aussi dans les retours qu’on a pu percevoir. »

 

Raphaël Balboni

"De la communication par l'art"

« Tu injectes plein de choses qui t’habitent, qui te traversent, qui font partie de ton voyage émotionnel. Tu essaies de livrer ça sous la forme la plus digeste possible et quand ça marche, il y a une vague de plaisir. Tu as essayé d’en transmettre et une énorme déferlante de plaisir te revient.

Il y a ce flot d’émotions qui passe et tu te dis que le cinéma est unique. C’est une manière de transmettre des choses aux autres humains en sous-marin, enfin en tout cas pas par de la conversation. En fait, c’est de la communication par l’art, et quand tu le vis, c’est incroyable. »

 

Ann Sirot

Les cauchemars récurrents

« Une fois que j’ai été accepté à La Semaine de la Critique, mes émotions étaient partagées. Je dirais que j’étais heureux, vraiment heureux, à 90 % environ. Tous les cinéastes veulent être à Cannes, mais je ne pensais pas que c’était possible, peut-être dans un monde parallèle et encore ! Quand c’est arrivé, j’ai presque pleuré, réveillé ma femme et nous avons dansé ensemble.

Et puis, les 10 % restants, c’était de la peur. La peur que les spectateurs n’aiment pas le film et qu’on me voie comme un mauvais cinéaste, qui ne mérite pas de faire des films. J’ai fait des cauchemars autour de cette première projection : des gens du studio venaient me voir en me disant que j’avais eu de très mauvaises critiques sur le film. C’étaient des cauchemars récurrents, que j’ai faits presque tous les jours avant de venir.

Quand la projection a démarré, les gens ont vraiment eu l’air d’aimer, et à la fin il y a eu une standing ovation. Ça doit être normal ici, mais pour moi, c’était la première fois. »

 

Jason Yu

"Comme des petits vampires"

« Les films sont comme des petits vampires qui prennent du sang, de l’énergie ; tu les nourris. Nous avons fini le tournage fin janvier. Ensuite vient la postproduction et c’était presque un exploit de finir le film pour Cannes. J’ai fini le DCP mercredi, je suis arrivé le samedi et en me réveillant le dimanche, je me dis que la première est déjà le lendemain. Ce qui est agréable avec ça, c’est qu’on reste dans le faire, dans l’artisanal, ce qui est hyperimportant pour un cinéaste. En tout cas, ça nous protège.

Je pense qu’une fois qu’on a fait un film, il ne nous appartient plus. Un film n’existe pas en soi, il n’existe que dans ce qui se joue entre l’écran et les spectateurs. J’étais assez ému de voir les réactions du film, son potentiel de pouvoir charger émotionnellement le spectateur, de le bouleverser. Et en même temps, j’avais ce sentiment, comme un enfant qui arrive à 18 ans, très vite, qui part de la maison… Et j’aurais peut-être aimé y rester un peu plus. »

 

Vladimir Perišić

Planter des graines

« Faire venir toute l’équipe à Cannes, leur faire voir le film pour la première fois, c’est superexcitant. C’est historique qu’on soit tous là ! On a eu des retours incroyables toute la journée. On marchait dans les rues de Cannes et des gens nous criaient le nom du film : « Levante !  Levante ! Bravo ! » C’est fou de voir toutes les graines que le film plante.”

 

Lillah Halla

La tête vide

“La première chose marquante, c’est qu’on s’est tous retrouvés avec l’équipe. Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vus. On commence donc entre nous, dans l’émotion de ces retrouvailles.

Avant de monter sur scène, je n’ai rien dans la tête, d’ailleurs il faut que je travaille sur ça, car c’est complètement vide. Je n’ai aucune émotion. C’est très physique, j’ai mal à des endroits où je ne pensais pas que je pouvais avoir des sensations. Il y a des larmes qui restent coincées sous les yeux. La projection était un moment très fort : la salle pleine, les sourires … et après, on célèbre le film tous ensemble.”

 

Céleste Brunnquell

 

De Lens à Cannes

“C’est un moment assez intense, très riche. On est partagé par des sentiments mitigés, parfois contradictoires. C’était encore plus particulier, car je suis en ce moment en tournage pour une série Arte, dans le nord de la France, à côté de Lens, dans le bassin minier. Donc hier matin, j’étais en tournage dans la banlieue lensoise, et le soir, j’étais sur la Croisette pour la première de mon film. C’est un grand écart assez intéressant ! Je n’ai pas eu le temps de gamberger sur la présentation du film, ni de l’anticiper. Au dernier moment, quand je me suis assis dans la salle, j’ai enfin commencé à réaliser et à ressentir ce qu’il se passait, mais sans vraiment comprendre.

Quand je suis dans la salle, j’ai l’impression d’absorber toutes les émotions des gens autour, d’être comme une éponge. Tout est amplifié. Moi, j’ai du mal à vraiment voir le film, mais j’ai comme des antennes autour, faisant attention à la manière dont ça se passe pour les gens à côté. J’entends le souffle devant, le rire derrière, je prends tout ça. C’est beaucoup à intégrer et à la fin, je sors très fatigué. Il va me falloir quelques jours pour comprendre et traverser ces émotions.”

 

 Erwan Le Duc