Le cinéphile est joueur dans l’âme : un film en appelle un autre, et puis un autre et un autre encore. Parfois le lien est direct (metteur en scène, acteur, sujet), mais le jeu est bien plus rigolo si le rapport est ténu, lointain ou ponctuel (un dialogue, un thème musical, un personnage ou une scène résonnant en écho), voire tiré par les cheveux (titre approchant, référence souterraine). Essayez, c’est joyeux et sans fin, c’est du plaisir garanti.
Film joyeux par excellence, Diamants sur canapé de Blake Edwards, adapté d’un roman (réputé inadaptable) de Truman Capote, est aussi, à sa sortie en 1961, une petite révolution dans l’art de montrer la femme à l’écran.
1/ Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s) de Blake Edwards (1961)
Puisque nous faisons, en ces temps viraux et confinés, beaucoup de choses pour la première fois, commençons par revoir Diamants sur canapé (même si on préfère s’y référer sous son titre original : Breakfast at Tiffany’s). Dans cette insolente comédie sur une prostituée qui croise la route d’un gigolo, il y a de l’audace, du rire, de la liberté à revendre. Et, parmi de nombreuses scènes d’anthologie, celle où Holly Golightly et son voisin Paul décident de passer ensemble une journée au cours de laquelle chacun va faire quelque chose pour la première fois et découvrir le monde de l’autre : elle commence ainsi par lui faire boire du champagne au petit déjeuner… Audrey Hepburn, dans Diamants sur canapé, c’est la (call-)girl next door qui serait si joliment libre, charmante et désarmante qu’elle ne choquerait personne. Hollywood rebaptisa cela de « l’anticonformisme », ceux qui ne voulurent rien comprendre n’y virent que du feu. Les autres se réjouirent à ce feu d’artifice de comédie romantique nouvelle manière, avec bague de pacotille gravée chez Tiffany, chat nommé Chat et bulletins météo issus des parloirs de la prison de Sing Sing. Se disant que, désormais, plus rien ne serait tout à fait comme avant en termes de représentation de la femme moderne américaine. À part peut-être dans les comédies avec Doris Day ?
2/ Les Quatre Cents Coups de François Truffaut (1959)
François Truffaut s’y connaissait en « premières fois », lui qui disait que ce qu’il y avait de beau avec les enfants et les adolescents, c’est que tout ce qu’ils faisaient sur un écran, ils semblaient, justement, le faire pour la première fois. Et il l’a prouvé haut et fort dans ses débuts de réalisateur, Les Quatre Cents Coups, chef-d’œuvre qu’aucune (re)vision n’épuise, qui semble chaque fois se régénérer et nous revitaliser : claque et baume, où Jean-Pierre Léaud, quatorze ans, est un miracle d’apparition originelle. Car, après une participation à La Tour, prends garde ! de Georges Lampin, Les Quatre Cents Coups représente bel et bien sa naissance au cinéma. Dans le rôle d’Antoine Doinel (qu’il devait reprendre par la suite à quatre occasions et à des âges différents, de Antoine et Colette en 1962 à L’Amour en fuite en 1979), il est bouleversant, drôle, simplement évident, avec sa bouille irrésistible, son blouson à carreaux, sa détresse et sa gouaille.
A revoir sur La Cinetek.
3/ Minority Report de Steven Spielberg (2002)
Peu de rapport a priori entre le bijou de Blake Edwards et ce joyau de la science-fiction cinématographique signé Steven Spielberg. On y voit, dans un futur lointain (2054), des policiers arrêter des criminels avant qu’ils ne commettent l’irréparable, grâce aux prévisions infaillibles de trois êtres étranges nommés « précogs » . John Anderson (Tom Cruise), chef de la brigade « précrime », inconsolable de la disparition de son fils six ans plus tôt, est bientôt lui-même accusé d’un crime à venir. Minority Report, adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick, traite du paradoxe de la toute puissance d’une justice qui exclut le libre arbitre. Il le fait avec une débauche d’idées spéciales et d’effets spéciaux, de décors futuristes éblouissants et de scènes d’action ébouriffantes. Lors d’une superbe séquence dans une galerie marchande où, poursuivis par les policiers, John et Agatha (l’une des précogs) avancent en se cachant parmi la foule, on entend une version instrumentale de Moon River, la merveilleuse chanson entonnée par Audrey Hepburn dans Diamants sur canapés. La douceur de la mélopée enveloppe un moment d’angoisse et de poésie suspendue, où le spectateur médusé voit le couple se figer à la demande d’Agatha (qui « sait ») et disparaître un instant derrière un marchand de ballons et son bouquet multicolore. Juste le temps pour eux d’échapper à leurs poursuivants…
A revoir sur CanalVod.
4/ Big Little Lies de David E. Kelley (2017-2019)
Cette série addictive créée par David E. Kelley montre dès son générique de début, baigné de la très belle chanson de Michael Kiwanuka, Cold Little Heart, les héroïnes déguisées en Audrey Hepburn avançant vers la caméra. Dans l’ordre d’apparition : Zoé Kravitz, Shailenne Woodley, Nicole Kidman, Laura Dern et Reese Witherspoon. Cette dernière porte sur le front le masque de sommeil en satin turquoise et les bouchons d’oreilles à pampilles, ainsi que la chemise blanche de Diamants sur canapé. Le personnage interprété par Witherspoon se trompe d’ailleurs lorsqu’elle déclare au détour d’une scène qu’elle doit, pour le gala de charité auquel les cinq amies de Monterey participent (et au cours duquel se déroule le drame qui sous-tend toute l’intrigue et sera révélé au dernier épisode de la saison 1), aller s’habiller en « My fair Lady ». C’est Laura Dern qui en porte les atours, les quatre autres étant des versions plus ou moins proches de Holy Golighty, choucroute sur la tête, colliers à plusieurs rangs et petite (ou longue) robe noire ! Amitié, mensonge, secrets, violences faites aux femmes, sont les ingrédients de deux saisons formidables, la première réalisée par Jean-Marc Vallée, la seconde par Andrea Arnold. À voir et à revoir pour leur intelligence d’écriture, la beauté de la côte californienne et l’alchimie des comédiennes.
A revoir sur OCS.
À lire : 5e Avenue, 5 heures du matin : Audrey Hepburn, Diamants sur canapé et la genèse d’un film culte de Sam Wasson, éditions Sonatine, 25 Euros.