Même débuter une lettre est compliqué. Qui mettre en premier ? Lequel choisir ? Tous deux réalisateurs, scénaristes, parfois même producteurs… Tout semble bicéphale chez vous ! Même si tout coule d’une seule voix, d’un seul souffle, dans vos films… Premier d’une magnifique série de paradoxes. C’est aussi une première pour le Festival de Cannes, d’ailleurs. Deux présidents du jury ! Imaginez donc le casse-tête pour le protocole ! Mais à cinéastes exceptionnels, place exceptionnelle, voilà tout. Pourtant, outre l’exceptionnelle exception, la question reste entière. Quel genre de présidents allez-vous être ? Au cours des années, on a tout vu. Les choix convenus et les surprises les plus déstabilisantes. Dans quel camp allez-vous vous placer ? Impossible à savoir. On ne peut que déduire, évidemment. Et à ce petit jeu, vos films donnent peut-être des indices. Il y a cet humour noir, pince-sans-rire et pourtant empreint de tendresse qui navigue avec vous, où que vous alliez, du film noir au western, en passant par la chronique folk ou la comédie romantique. Un humour à la Beaumarchais qui vous aide à rire de tout, de peur d’être obligés d’en pleurer et qui pourrait bien ne pas vous laisser insensibles aux sirènes sorrentiniennes ou à celles, tellement méta, de Nanni Moretti qui vous plongera au cœur d’un tournage qui se passe mal ? À moins que la présence de votre cher Roger Deakins aux lumières du Sicario de Denis Villeneuve ne fasse pencher la balance ? Bien sûr, plusieurs pourraient encore faire le parallèle entre la sophistication cérébrale d’un Todd Haynes et celle dont vous avez pu faire preuve dans Barton Fink ou The Barber… Mais qui sait, peut-être allez-vous préférer les chemins de traverse fantastiques de Matteo Garrone et son Tale of tales, la douceur d’un Kore-eda, l’existentialisme suicidaire d’un Gus Van Sant ou d’un Joachim Trier, l’ambition temporelle de Jia Zhang-ke, la férocité de Macbeth revisitée par l’Australien Justin Kurzel, la science-fiction cinglée d’un Yorgos Lanthinos, les chorégraphies de Hou Hsiao-hsien ou le regard du nouveau venu hongrois, protégé de Bela Tarr, Laszlo Nemes ? Mais, on se connaît depuis assez longtemps pour imaginer que les atermoiements de Maïwenn, le social plombé d’Audiard, la préciosité de Donzelli ou les conventions de Brizé vous laissent de marbre. Une chose reste sûre : vous allez nous surprendre, comme vous l’avez toujours fait. Et c’est exactement pour cela que nous vous aimons.
