Lapins de cinéma #4
Le Coup du lapin (au cinéma) - La Règle du jeu / Eve / Liaison Fatale
C’est un symbole païen de fécondité, qui matérialise, en nous attendrissant, le renouveau, la renaissance que représente la période de Pâques. Mais il est aussi ce qui se carapate et échappe à notre tentation de contrôle : une fuite hors de l’espace et du temps vers un ailleurs inconnu.
Alors, suivons la bête, des terriers souterrains à la surface de la terre, lorsqu’il se dessine à l’écran ou doit être deviné…
La Règle du jeu
Tristes lapins
Deux séquences dans le chef-d’œuvre de Jean Renoir mettent en scène des lapins. La première, à la vingtième minute du film, nous montre Marceau (Julien Carette), un braconnier en train de vérifier ses collets. Un lapin s’est fait prendre, ce qui ravit ce joyeux luron. Pour un court instant seulement, car Schumacher (Gaston Modot), le garde-chasse du marquis de la Chesnaye, le surprend et l’arrête aussitôt, ne tenant pas compte de sa supplique magnifiquement hypocrite : « Bonjour Schumacher, tu vas bien ? Tu veux mon lapin ? » . Acte illégal, certes, mais qui plaît beaucoup au marquis (Marcel Dalio), qui non seulement demande au braconnier de lui montrer ses autres collets, mais l’engage sur le champ comme employé de maison. Une séquence plutôt gaie, mais qui annonce celle, beaucoup plus triste, de la partie de chasse, à la 35e minute, qui nous vaut un véritable massacre de lapins, abattus par les invités du marquis, la plupart étant des aristocrates ou de grands bourgeois. Un massacre qu’aucun des rares spectateurs de 1939 n’a perçu comme pouvant être annonciateur d’une seconde tuerie mondiale, à l’échelle humaine cette fois. Ou comment le lapin, symbole de fécondité naturelle, pouvait être utilisé d’une manière parfaitement antinomique par un cinéaste qui avait le sens des grandes illusions.
Michel Cieutat
Eve de Joseph L. Mankiewicz
Un étrange lapin
Chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre, Eve de Mankiewicz, sur le théâtre, la célébrité et la vanité, recèle des trésors de joutes spectaculaires et de dialogues mordants. Lors de la soirée organisée par la comédienne Margo Channing (Bette Davis) en l’honneur de son époux, de retour d’Hollywood, tout le petit monde de la scène new-yorkaise est là. Un critique au verbe venimeux, Addison De Witt, arrive avec à son bras Miss Caswell (Marilyn Monroe), qu’il présente comme une actrice « diplômée du Conservatoire de Copacabana », donc ex-danseuse, et qui a tout d’une ravissante idiote. Pourtant, lorsque pour se débarrasser d’elle il l’encourage à aller rejoindre le producteur Max Fabian, celle-ci, avant de projeter sa poitrine en avant et d’afficher son plus joli sourire, demande :
« Pourquoi ont-ils toujours l’air de lapins malheureux ? ». Absurde, cette réplique inoubliable ne pouvait être dite que par Marilyn, qui, fine mouche et pleine d’humour, incarnait les naïves et les ingénues comme personne.
Isabelle Danel
Liaison Fatale d’Adrian Lyne
Lapin collatéral
En 1988, Liaison fatale, ce petit film macho et puritain signé Adrian Lyne, où un bon mari/père de famille (Michael Douglas) trompe sa femme et son ennui avec une donzelle délurée adepte de l’amour en ascenseur (Glenn Close), cartonnait au box-office avec 150 millions de dollars de bénéfices ! Cette incartade d’un soir n’empêchait pas l’avocat new-yorkais de rentrer dans le rang et au bercail, la maîtresse célibataire et indépendante (traitée comme une harceleuse hystérique et jamais comme une femme amoureuse et bafouée) étant éliminée sauvagement par la bonne épouse et mère de famille. Car la gourgandine, en plus de mettre en péril une parfaite (?) famille américaine, avait commis l’irréparable : jeter dans une marmite d’eau bouillante le lapin blanc de la fille de son amant. Lapin bouillu, maîtresse foutue. La morale ricaine était sauve. On n’en dira pas autant de la cause des femmes… ni des lapins domestiques…
Isabelle Danel