C’est un symbole païen de fécondité, qui matérialise, en nous attendrissant, le renouveau, la renaissance que représente la période de Pâques. Mais il est aussi ce qui se carapate et échappe à notre tentation de contrôle : une fuite hors de l’espace et du temps vers un ailleurs inconnu.
Alors, suivons la bête, des terriers souterrains à la surface de la terre, lorsqu’il se dessine à l’écran ou doit être deviné…
La représentation du lapin dans le film de Richard Kelly prend le contre-pied d’une imagerie burlesque et farceuse véhiculée par Hollywood pour illustrer l’état malade d’un adolescent.
La figure du lapin guide toute la démarche esthétique du premier film de Richard Kelly. On retrouve cet animal comme un emblème sur l’affiche, et à travers la présence musicale du groupe Echo and the Bunnymen (Echo et ses hommes-lapins). Donnie “Donald” Darko (Jake Gyllenhaal) est un adolescent perturbé. Il s’invente un ami imaginaire, Frank, un lapin géant qui lui annonce une fin du monde imminente et lui demande d’accomplir des actes, dont un qui lui sauve la vie. Ce lapin dote le personnage d’un grand pouvoir. Ce récit fantastique est teinté d’onirisme et d’étrangeté. À travers cette incursion surnaturelle, l’intrigue devient énigmatique, ouverte aux interprétations (hallucination ? trouble schizophrénique ? apparition divine ? prémonition ? rêve ?).
Cet animal, oreilles droites et yeux grands ouverts, est soucieux et à l’affût des menaces potentielles, conformément à l’imagerie répandue qui l’associe à un danger (la RATP et Jean de La Fontaine le représentent lié au risque que sa rapidité peut générer, comme il est aussi l’objet de superstitions sur les bateaux, où il est interdit de l’évoquer…). Son apparition dans le film prolonge cette idée qu’il annonce un mauvais présage, représentée dans une vision spectrale non réaliste, effrayante, qui laisse à penser qu’elle provient d’un cauchemar. Le lapin est à la fois un monstre surnaturel bien réel dans le récit, et une pure invention de l’imagination générée par la peur du personnage.
Chez Lewis Carroll, le lapin permettait à Alice de voyager au pays des merveilles en le suivant. La prophétie du lapin transporte Donnie Darko vers un autre monde. Aussi, comme Gummo (chez Harmony Korine) qui se met des oreilles de lapins pour échapper à la réalité, Donnie Darko va stimuler l’apparition de Frank pour fuir un monde qu’il ne supporte pas. Le héros de Richard Kelly souffre de somnambulisme et d’hallucinations entraînant l’altération de sa réalité, ce qui permet d’entretenir l’ambiguïté sur la nature du lapin. Est-ce l’histoire d’un garçon tourmenté ou celle d’une apocalypse ? Est-on dans le fantastique menant à un monde parallèle, ou plus prosaïquement à la description des tourments intimes d’un adolescent ?
À travers la présence du lapin, il est question d’un parcours initiatique qui transforme un enfant en adulte. Donnie Darko grandit en prenant conscience de la mort. La bête terrifiante catalyse la crise existentielle d’un adolescent mal dans sa peau, peureux, qui se cherche une compagnie. L’apparition résulte d’une peur de la solitude. Le film de Richard Kelly est une histoire fantastique et intime. À travers l’annonce d’une fin du monde métaphorique, il s’agit du récit d’un naufrage adolescent. Le chemin indiqué par le lapin est une échappatoire, une fuite qui pourrait être celle d’un suicide. Le lapin de Donnie Darko (“Donald Dark”) est la face sombre de la créature disneyenne, une invention mentale lugubre, un oracle inquiétant, et un recours irrévocable.