Un film en appelle un autre, et puis un autre et un autre encore. Parfois, le lien est direct (sujet, acteur, metteur en scène), mais le jeu est bien plus amusant si le rapport est ténu, lointain ou ponctuel (un dialogue, un thème musical, un personnage ou une scène qui résonnent en écho), voire tiré par les cheveux (titre approchant, référence souterraine). Essayez, c’est ludique et joyeux, ça pourrait ne jamais s’arrêter, c’est du bonheur garanti.
Présenté en 1946 en marge du premier Festival de Cannes, Farrebique de Georges Rouquier revient en copie restaurée à Cannes Classics en mai avant sa ressortie en salle. Découvrez trois autres films que sa vision suscite étrangement, insidieusement, irrésistiblement… en un coq à l’âne absurde et cinéphile.
FARREBIQUE
• De Georges Rouquier •
« Le printemps, ça revient toujours ! », c’est sur ces mots que se termine ce premier long-métrage qui suit une année dans une ferme du Rouergue. Rouquier filme ses oncles et tantes, ses cousins, ses petits-cousins ; il réorganise le réel, donnant au fils cadet (marié dans la réalité) une fiancée de cinéma, faisant mourir le grand-père (qui assista à ses funérailles caché derrière un rideau). Il saisit l’essence de la vie, le pain que tranche le patriarche, les bœufs et les foins, la naissance d’un bébé, les discussions brèves mais essentielles (Faut-il prendre l’électricité ? Agrandir la ferme ?). C’est un film inouï, d’une beauté saisissante. Les critiques de la FIPRESCI, Fédération Internationale de la Presse Cinématographique, ne s’y sont pas trompés qui ont, sachant ce film refusé par la sélection officielle du premier Festival de Cannes en 1946, organisé une projection en marge et lui ont attribué leur premier prix.
LES MOISSONS DU CIEL
• De Terrence Malick •
Deuxième long-métrage de l’auteur de La Balade sauvage (1974), Les Moissons du ciel est une ode à la vie des petites gens qui, en Amérique en 1916, voyagent à travers le pays pour louer leurs bras. Bill, sa compagne Abby (qu’il fait passer pour sa sœur) et sa cadette Linda se rendent ainsi au Texas, où ils font les moissons sur l’exploitation d’un riche fermier. Malick filme, comme Rouquier avant lui, les travaux et les jours, le labeur ardu. En pur esthète de cinéma, il rend tout vivant, palpable : les particules de blé dans l’air, le bruit des gerbes qu’on soulève, le ploiement des corps sous la fatigue. L’histoire, contée en voix off par l’adolescente, mêle ce dur quotidien à une romance cruelle. Richard Gere, Brooke Adams, Sam Shepard et la jeune Linda Manz sont remarquables dans ce beau grand film lyrique et simple, étourdissant de beauté et de vérité.
MICROCOSMOS
• De Claude Nuridsany et Marie Pérennou •
Si l’on disait volontiers Rouergue au temps où Rouquier filma la ferme de Farrebique, cette ancienne province était devenue département depuis des lustres et s’appelait Aveyron. C’est là, près de cinquante ans plus tard, que Claude Nuridsanny et Marie Pérennou, biologistes et entomologistes passionnés, posèrent trois années durant leurs caméras pour observer les petites bêtes dans l’herbe. Mais le rapport entre les deux films n’est pas seulement géographique, ni même de genre (tous deux sont des
« documentaires », prouvant ainsi à quel point le spectre est large et passionnant). Ici, fourmis rousses, coccinelles à sept points, et autres papillons de nuit, qui, sous nos yeux ébahis, se battent pour exister, subsister, résister. Et que dire du scarabée sacré, qui pousse inlassablement sa boule par delà une bosse, la regarde dévaler et, tel Sisyphe, la remonte à nouveau ? Toute la vie est là.
CERTAINS L’AIMENT CHAUD
• De Billy Wilder •
« Personne n’est parfait » ! S’il est un film connu pour sa dernière phrase, comme le printemps qui revient toujours de Farrebique, c’est bien Certains l’aiment chaud. Évidence absurde, truisme réjouissant, ce final est, chez Billy Wilder, le couronnement en un éclat de rire de nombre de ses prédécesseurs durant la projection. Car le film entier est brillant, intelligent, innovant, drôle. Sur l’Amérique et l’époque, sur la place de l’homme et de la femme, sur le désir et l’arrivisme, c’est un film somme, pétaradant comme un feu d’artifice, avec une idée de cinéma par plan. Et Marilyn Monroe, Jack Lemmon et Tony Curtis, au plus haut de leur forme.