Ce premier long-métrage espagnol filmé à hauteur d’enfant s’inspire du vécu de la réalisatrice, orpheline à six ans. Impressionniste et impressionnant.
C’est la nuit, on remplit des valises, des voix chuchotent dans l’autre pièce. Sa grand-mère enseigne à la petite fille brune aux grands yeux interrogateurs une prière à dire chaque soir « pour sa maman ». Frida est embarquée en voiture par son oncle, elle ne comprend pas pourquoi ses tantes ne l’accompagnent pas. À six ans, la gamine quitte Barcelone pour la campagne, sa famille pour une autre famille. Estève et Marga s’occupent d’elle désormais, et elle a une « petite sœur » de trois ans, Anna. Par touches légères, impressionnistes, la réalisatrice dessine la réalité de ce moment crucial, les bribes qui parviennent à Frida, leurs conséquences au-delà du temps du film nous éclairent et font monter les larmes : une conversation chez le boucher (on voit à peine les têtes de ces condescendantes mains adultes offrant à la « pauvre petite » un morceau de jambon), la réaction exacerbée d’une mère demandant en hurlant à sa fille si elle n’a pas touché de ses mains le sang de la blessure de Frida, tombée en jouant… Avec âpreté, cruauté parfois, ce portrait d’une enfant condamnée à grandir plus vite que son ombre est, en creux, celui du couple qui la prend en charge avec amour et patience. C’est l’histoire d’un malheur, d’un choix et d’une renaissance ; la tristesse intrinsèque du contexte est contrebalancée par une image lumineuse, solaire. Quant à la jeune Laia Artigas, elle a dans les yeux des orages à faire peur et des sourires à faire fondre une banquise.